France
Chasseurs à Cheval de la Garde Impériale


Carte de Visite atelier L.Krier à Metz

Xavier Feuillant, Maréchal des Logis aux Chasseurs de la Garde Impériale durant le siège de Metz (1870)


Cette magnifique photographie nous ramène à un moment terrible de l'Histoire de France, celui de la Capitulation de Metz durant la Guerre de 1870.
Comme souvent pour les troupes en campagne, quelques libertés sont prises ici avec le caractère réglementaire de l'uniforme pour faire place aux nécessités pratiques de la campagne - ce qui on le voit ici n'empêche pas une élégance certaine, comme il convient à un cavalier de la Garde Impériale !
Le régiment des Chasseurs à Cheval de la Garde Impériale est constitué en 1856 avec des éléments issus des régiments présents en Crimée, le 4e Chasseurs d'Afrique (qui est alors dissous), les 1er et 4e Hussards.

Le Régiment des Chasseurs à Cheval de la Garde forme avec celui des Guides la Brigade de Cavalerie Légère de la Garde Impériale.
En 1870 ils feront campagne avec l'Armée du Rhin sous le commandement du Général Joseph Halna du Frétay, au sein de la Division de la Garde Impériale, commandée par le Général Bourbaki.

Il n'entre pas dans mon propos de retracer ici les revers de l'Armée du Rhin - contentons nous de préciser qu'après une série de revers, elle doit se replier sous Metz, dont l'encerclement est réalisé par les Allemands le 20 Août 1870.
Le Maréchal Bazaine, Commandant en Chef de l'Armée du Rhin depuis le 12 Août, capitulera le 27 Octobre.


L'identification du sujet de cette photographie procède d'un rare coup de chance : un autre cliché, pris dans la même séance de pose, est reproduit dans l'excellent ouvrage de Louis Delpérier sur la Garde Impériale [1] - cette carte de visite est dédicacée et porte la signature du "Maréchal des Logis Xavier Feuillant".

Ce fil permet de démêler une partie de son histoire, et nous allons voir qu'elle se révèle extraordinaire.


La Jeunesse - l'appel des Armes

Charles Etienne Xavier Feuillant est né le 15 Juillet 1842 à Paris [2]. Il est le fils de Vincent-Xavier Feuillant (gérant de l'entreprise générale des omnibus) et de Marie Chauveau Dupuis. 

Gaston Jollivet nous retrace sa jeunesse [3]:
(...) fils d'un riche bourgeois de Paris, qui, après avoir marié ses deux filles dans la meilleure noblesse, était mort trop tôt pour surveiller l'instruction et les premiers pas de son fils dans la vie. Ayant, sous le toit familial, de bonne heure lassé la patience de cinq ou six précepteurs, fourré ensuite dans des pensions où il apprit d'après ce qu'on dit ses meilleurs camarades, tout juste à lire l'imprimé, une fois jeté sur le boulevard, et au bout d'un an de fête, il dut s'engager aux chasseurs d'Afrique, où il atteignit les galons de maréchal des logis, car il ne boudait pas devant un arbi. (...)

Le Comte d'Hérisson, que nous retrouverons tout au long de cette notice, précise les débuts du jeune Feuillant, qui s'engage en fait tout d'abord comme Cavalier au 6e Hussards, en 1859 [4]:
"(...) On comprendra donc qu'un garçon de dix-huit ans qui n'avait aucune vocation prophétique, s'en voulût d'être désœuvré au milieu de tant d'activité, d'être inutile au milieu de tant d'enthousiasme. Mes amis de Florence partaient les uns après les autres. Mes compagnons de plaisir, s'enveloppant tout à coup d'une gravité suprême, me déclaraient que c'était fini de rire et de s'amuser, et que l'heure du sacrifice avait sonné. Je les aurais bien suivis. J'étais persuadé que le chapeau rond avec une queue de coq conviendrait tout à fait à ma physionomie. Mais il me parut plus simple, plus sage, puisque je n'avais pas encore tiré au sort, d'aller m'engager en France.
Je choisis donc un régiment de cavalerie désigné pour faire partie de l'armée d'Italie, et quittant Florence, je me dirigeai sur Tours, où j'eus bientôt l'honneur de faire partie, en qualité de cavalier de deuxième classe, du 6e régiment de hussards. Je me souviens qu'en arrivant au quartier, le premier camarade à qui je parlai et qui venait de s'engager le même jour que moi, était un jeune cavalier que j'avais vu bien souvent caracoler autour du lac du bois de Boulogne. Il s'appelait Xavier Feuillant, et comme il n'avait que seize ans, il lui avait fallu obtenir une dispense d'âge.
Je mentirais en disant que la vie de caserne et la garde d'écurie ont pour moi des séductions infinies. Mais la grandeur de la mission que je m'imaginais remplir me faisait oublier les petites misères du métier, et en prodiguant à mon cheval des soins de propreté intimes, en ramassant le crottin dans mes deux mains, comme une chose fort précieuse, j'étais persuadé que je concourais à la réalisation du plan du grand cardinal, et qu'après Richelieu, je travaillais à l'abaissement de la maison d'Autriche. Dans la vie, il faut croire. Tout est là. seulement je brûlais du désir d'abaisser cette gredine de maison d'Autriche autrement qu'en mettant de la paille pour la bordure des litières, et je trouvais le temps un peu long. Montant proprement à cheval et n'étant étranger à aucun genre d'exercice, j'avais avalé mes classes en trois temps et quatre mouvements, et je me morfondais dans l'oisiveté laborieuse du quartier. Ce fut donc avec ivresse que je reçus l'ordre de faire mon paquetage. On venait de choisir, dans le dépôt du 6e hussards, cinquante hommes qui, le surlendemain matin, devaient se mettre en route pour rejoindre le régiment, lequel faisait partie du sixième corps.
Nous passâmes quarante-huit heures avec des gaîtés d'oiseaux, sans que notre joie égoïste fût même troublée par les mines allongées des camarades qui enrageaient de rester au quartier. Puis, le matin du départ, quand nous eûmes sellé et bridé, comme nous allions monter à cheval, un papier bleu arriva au commandant. le départ était contremandé. Nous dessellâmes et débridâmes en maugréant. L'armée française avait vaincu trop vite. On parlait déjà d'armistice, de traité de paix. D'ailleurs notre régiment, appartenant au sixième corps, n'avait pas donné. Il était resté dans les Apennins, en observation, avec toutes les troupes réunies sous les ordres du Prince Napoléon, qui ne prit, comme on sait, aucune part active aux affaires militaires. On ne manqua pas de dire un peu partout, et même dans l'armée, que si le sixième corps avait observé avec tant de patience l'ennemi du haut des Apennins, c'était à cause de la prudence bien connue de son chef.
(...)
J'avoue, d'ailleurs, que la question des mérites militaires de mon commandant en chef s'effaçait pour moi devant les ennuis de ma situation. Je ne pouvais pas faire comme lui, et l'abandonner, cette situation du moment qu'elle avait cessé de me plaire. J'en avais pour sept ans. Les jours succédaient aux jours, et, au lieu d'abaisser définitivement la maison d'Autriche comme je l'avais espéré, je pataugeais dans les écuries, des sabots aux pieds, une brosse de chiendent à la main gauche, une musette à la main droite, sans autre distraction que de faire exécuter à ces deux objets peu récréatifs un chassé-croisé d'une main dans l'autre. C'était dur !
Feuillant, qui partageait mon infortune, n'y tint pas. Il demanda à passer en Algérie, aux chasseurs d'Afrique, et eut la chance de faire, avec son nouveau régiment, l'expédition de Syrie. J'attendais mes galons de brigadier pour l'imiter. Il y avait sept mois déjà que j'étais au dépôt, et je devais être nommé au rapport du lendemain, lorsque le vaguemestre me remit une lettre  qui me plongea dans un profond étonnement. (...)"

Le dossier militaire de Xavier Feuillant précise qu'il est Engagé Volontaire le 3 Août 1859 ; il y est spécifié qu'il rejoint alors le 1er Hussards, mais il semble qu'il s'agisse ici d'une erreur : outre le témoignage du Comte d'Hérisson ci-dessus, le dossier de Xavier Feuillant contient également un courrier  de celui-ci (du 7 Mai 1895), demandant au Ministre de la Guerre "une expédition de l'Etat de (s)es Services" , dans laquelle il rappelle qu'il fut "Engagé (...)  avec une dispense d'âge de S.M. l'Empereur (6eme Rent. de Hussards)".

Il est promu Brigadier le 12 Décembre 1859, et transféré au 1er Chasseurs d'Afrique le 26 du même mois.
C'est donc en Afrique qu'il va rejoindre son nouveau régiment.


L'expédition de Syrie

L'expédition Française en Syrie faisait suite aux violences qui embrasèrent la région au printemps 1860, violences revêtant un caractère à la fois ethnique et religieux, qui furent marquées par les massacres de chrétiens maronites par les Druzes ; la passivité de l'autorité Ottomane (dont la Syrie dépendait) amena Napoléon III a engager une expédition afin de rétablir la paix. Son but officiel est d'aider le Sultan à rétablir l'ordre sur une partie de son territoire. 

Le corps expéditionnaire devait être une force internationale - les réticences des différents pays Européens (et notamment l'Angleterre) en fera un corps Français, qui partira début Août 1860, pour partie de Toulon et Marseille, et pour partie d'Algérie, sous le commandement du Général de Beaufort d'Hautpoul.

Feuillant fait partie de l'Escadron du 1er Chasseurs d'Afrique détaché en Syrie - c'est le 1er Escadron qui embarque le 11 Septembre 1860 à Alger.
Après une escale à Malte, il débarque à Beyrouth le 23 Septembre. Il traversera le Liban pour rejoindre le corps d'expédition à Djebel Djennis.

Le correspondant du Times décrit la Cavalerie du Corps Expéditionnaire [5] :
"(...) FRENCH CAMP ON THE LITANY, NEAR JIB JENIN, Sept. 29.
(...) The right flank, which is thrown back to form one side of the square, is occupied by cavalry to the number of 500, two squadrons of Chasseurs d'Afrique, one squadron of Hussars, one squadron of Spahis, who arrived during the evening from Kubb Elyas, having left Beyrout the previous day and followed the Damascus road. (...)
Oct.1.
Sunday and to-day (Monday) we have passed in the same camp. Yesterday General de Beaufort rode out with his Staff and a few Bashi-Bazouks from the Turkish force stationed at Jib Jenin, in addition to his escort of Chasseurs d'Afrique and spahis, to have an interview with the Sultan's representative in Syria at Sughbin.
(...)
The cavalry is composed of a squadron of the 1st Hussars (145 men, 135 horses, and 6 officers), a squadron of the 1st Chasseurs d'Afrique (161 men, 140 horses, and 9 officers), a squadron of the 3d Chasseurs d'Afrique (143 men, 129 horses, and 8 officers), and a squadron of the 2nd Spahis (137 men, 109 horses, and 8 officers). This gives a total of 513 sabres and 32 officers. The standard for a squadron, which is the French cavalry unit, instead of the troop, as with us, is 150 sabres.
A squadron is commanded by first and second captains, two lieutenants, and four sub-lieutenants, giving eight officers to 150 men. The regiment, which consists of four squadrons, besides the depôt, has a colonel, lieutenant-colonel, and two Chefs d'Escadron, or majors. The cavalry out there is commanded by Lieutenant-Colonel Du Preuil, who headed the Chasseurs d'Afrique in their charge upon the Russian batteries to disengage the Light Brigade at Balaklava. At Solferino, where he gained his epaulets of lieutenant-colonel, he charged and broke an Austrian square, and assisted in the capture of three pieces of cannon. In his force is a squadron of Spahis, as fine irregular cavalry as any. They are, in the first place, excellent horsemen, armed with a musket which they use as easily and with as deadly aim as infantry, and a sword which they carry between the left thigh and the saddle. The latter is a curiosity, with a back and front, rising some 9 or 12 inches, so that it is next to impossible to fall off. The spurs are like pike heads, nearly six inches long. When galloping over the plain, with their red burnous floating from their shoulders and brandishing their arms, the Spahis look the very beu ideal of irregular cavalry. The me, half the non-commissioned officers, and half the lieutenants and sub-lieutenants are Arabs. (...)"

Nos chasseurs passeront un hiver très rude dans des montagnes couvertes de neige, s'avançant jusque dans la vallée du Haut Jourdain à Hasbaya, puis regagneront Beyrouth. Pas de faits d'armes à relever, ce qui semble heureux au vu des objectifs humanitaires de l'expédition, mais a du bien chagriner nos hommes en quête de gloire !

Le Général du Barrail, alors Colonel du 3e Chasseurs d'Afrique, résumera ainsi l'expédition [6] :
"En revenant à Constantine, je mobilisai un de mes escadrons qui pris part à l'expédition de Syrie et qui devait me revenir, moins d'une année après, sans avoir tiré le sabre, puisque l'expédition, commandée par le général de Beaufort d'Hautpoul, l'ancien aide de camp du duc d'Aumale, fut pacifique. En guise de butin, les officiers rapportèrent des chapelets qu'ils avaient fait bénir à Jérusalem."

L'escadron du 1er Chasseurs d'Afrique embarquera début juin 1861 à Beyrouth, débarquant à Alger le 16 de ce mois.


Feuillant rentrera dans son régiment en Afrique le 17 Juin 1861.
Il y passe Maréchal-des-Logis le 28 Septembre 1862.
Rentré d'Afrique le 12 Avril 1864, il est transféré dans ce grade au 1er Lanciers le 25 Juillet - il sera exonéré le 5 Mars 1865 et rendu à la vie civile - avec un Certificat de Bonne Conduite - ce qui laisse rêveur quant on connaît le personnage...

La Grande Duchesse de Gérolstein

On retrouve donc Xavier Feuillant à Paris dans les froufrous de la Vie Parisienne. Il nous est parvenu des échos de sa liaison tapageuse liaison avec l'actrice Hortense Schneider, dont voici le portrait [7]:
"Le reine de l'opérette, la diva de prédilection d'Offenbach, qui créa la plus grande partie des rôles marquants de ses oeuvres et pour qui ces rôles étaient créés, qui se les appropria, qui les incarna, qui leur donna une saveur unique, un relief énorme, un chic inouï et fit les trois quarts de leur succès. Le type le plus complet, le plus réussi, le plus captivant de la chanteuse et de l'actrice dans cette manière spéciale de la musique bouffe, qui demande des dons à part et qui se confond avec aucune autre.
Elle avait tout : la beauté, la grâce, le charme, l'entrain, l'originalité, le goût, le geste et jusqu'à des intonations à elle, des petites mines à là fois prodigieusement canailles et éminemment distinguées, dont elle possédait le secret ; je ne sais quelle sensualité de belle compagnie qui s'échappait de tout son être et qui vous ensorcelait.
(...)
Toutefois, ce ne fut que dans la Grande-Duchesse de Gérolstein qu'elle déploya tous ses moyens, qu'elle atteignit au faite de son talent et de son inexprimable séduction. La pelisse sur l'épaule, le talpack de hussard sur l'oreille et la cravache à la main, elle était délicieusement suggestive et entraînante. Rien ne peut rendre l'effet magnétique qu'elle produisait sur la salle.
Et, lorsque, avec un brio plein de crânerie et de sous-entendus galants, elle chantait :
J'aime les militaires,
J'aime...
C'était du fanatisme, de l'ivresse, du délire.
Le plus piquant est qu'elle passait à ce moment-là pour les aimer réellement, les militaires (...).
Ce qui est certain c'est qu'elle avait à ses pieds la fleur des cavaliers parisiens. Jeunes seigneurs, hauts et puissants personnages, boyards opulents, financiers mondains, tous se disputaient ses bonnes grâces.
En 1867, au cours de l'Exposition universelle qui nous valut la visite de tant de souverains étrangers, on disait qu'un empereur, entouré, à bon droit, d'un immense prestige, avait télégraphié de sa capitale qu'on eut à lui retenir, pour le soir même de son arrivée à Paris, une loge à la Grande-Duchesse et un souper intime avec la princesse de Gérolstein. On disait...bien d'autres choses encore. On colportait, à son sujet, des si fantastiques anecdotes que les bonnes petites camarades, jalouses de son auréole, en avaient fortement conçu de l'humeur :
Mais c'est le passage des Princes que cette femme ! s'était écriée la plus venimeuse d'entre elles. (...)" 

Xavier Feuillant figure dignement dans ces "fantastiques anecdotes" [8]:
"Sovereigns, princelings, and statesmen came to Paris, ostensibly for the Exhibition, but principally to see Hortense Schnaider in Offenbach's The Grand Duchess of Gerolstein. Edward, Prince of Wales came in May ; he was followed by Czar Alexander II, who ordered tickets for the operetta the moment he stepped from the train.Then came Chancellor Bismarck with his protege the King of Prussia ; the Sultan of Turkey ; and, most picturesque of all, Ismaïl Pasha, the Viceroy of Egypt.
Even Bismarck's white and silver dress uniform looked drab as Hortense Schneider seemed to sing night after night for only the Viceroy in the left-hand stage box of theVarietes. One evening her accredited lover Xavier Feuillant took his revenge. Jealous, ardent, and a wit in action, Feuillant appeared in the right-hand stage box wearing a fez and made up to look exactly like Ismaïl Pasha. For once Hortense nearly lost her poise.
Soon Feuillant displayed his anger in even more potent fashion. Living in an apartment across the street from the adulated Schneider's house and fully aware of her international popularity, Feuillant made a grandiose gesture. He illuminated the front of his apartment and had the facade draped inhte flags of her illustrious callers' countries one by one."

Gaston Jollivet nous parle de plus près de cette liaison [9]:
"Monsieur, amant en second, amant de cœur, j'ai connu une personnalité originale qui fut les trois : Xavier Feuillant (...). Je le retrouvai débarrassé de l'uniforme. Il avait hérité et fut alors très chic, étonnant même de vieux "lions" et dandys par sa maîtrise à cheval au Bois ou dans un steeple. Et aussi par le choix de ses maîtresses. Je dis "choix" à dessein, car il était de ceux qui peuvent jeter le mouchoir où ils veulent, certain qu'il y aurait des crêpages de chignons entre actrices ou cocottes concurrentes pour le ramasser. Joli garçon, bien pris dans sa petite taille (NOTA : entre 1m66 et 1m68 selon son dossier militaire), il possédait en outre la faculté précieuse avec des femmes oisives et sans cervelle, de s'occuper d'elles depuis le matin jusqu'à la nuit très prolongée. Il ne leur faisait jamais la lecture, même dans l'imprimé, mais, toujours aux petits soins pour elles, il leur apportait le tabouret le mieux rembourré, leur entassait des coussins derrière le dos avec une importunité qui les flattait.
Un soir (je saute quelques années),je venais de bâcler pour Hortense Schneider, au cours d'un souper d'amis avec elle chez Bignon, un quatrain où ma galanterie se gardait bien de la confondre avec sa camarade des Variétés Silly, sa bête noire. Feuillant se pâme de confiance, fait venir le chasseur du restaurant et commande :
- Allez m'acheter un mètre de satin blanc tout ce qu'il y a de mieux. C'est pour écrire des vers dessus... Filez vite ! Et prenez la voiture de Mme Schneider.
Retour du chasseur. Pour être plus sûr de réveiller un passementier il s'est adjoint le collègue du Café Anglais et de la Maison d'Or. Tant pis pour ces messieurs et ces dames qui les ont sonnés dans ces trois restaurants. M.Feuillant avant tout. Ils ont le satin. Feuillant les couvre d'or, s'en va dans un coin déplier l'étoffe, l'étale, la lisse dévotement et, au moment où il revient pour me tendre un porte-mine en or, la grande duchesse de Gérolstein qui l'a regardé faire, eut le temps de nous dire : "A-t-il des attentions, cet animal-là !"


"Le terrible duelliste"

A cette époque, Xavier Feuillant fait également parler de lui pour ses affaires d'honneur [10]:
"Ce tour du lac qu'il était de bon ton de faire avant le dîner, chaque après-midi de beau temps, était, sous le Second Empire, d'une élégance incomparable.
Des cavaliers extrêmement soignés - monter l'après-midi au Bois était chose admise alors - caracolaient sur de superbes chevaux. Parmi eux on se montrait le Comte d'Evry, Saint-Germain, Vonsittart, Xavier Feuillant, le terrible duelliste. (...)".

A nouveau c'est Gaston Jollivet qui nous relate les détails de quelque affaire [11]:
"Pour en finir avec ma carrière combative, par un beau soir d'été je me trouvais devant Xavier Feuillant au bal des Canotiers de Bougival.
Fatalement Feuillant devait se prendre le bec avec un autre petit coq aussi prompt que lui à se crêter, Léon Chapron, mon "copain" de collège. A la suite d'une querelle avec Feuillant, qui très talon rouge avait répondu par la voix de ses témoins qu'on ne se battait pas en duel avec le fils d'un marchand de mouchoirs, même de la rue de la Paix. Dès que je sus ce propos, j'écumai. De quel droit, simple bourgeois après tout, si chic qu'il pût être à cheval, Feuillant établissait-il aussi arrogamment une hiérarchie dans le Tiers État ?
Or un soir, au bal des Canotiers, - était-ce simplement la faute d'un vulgaire reglingard, - d'une voix qui couvrait les crincrins de l'orchestre, debout dans un groupe, j'éreintai Feuillant copieusement. Je me retourne, il est devant moi. Très calme, il me jette:
- Vous aurez de mes nouvelles, Monsieur !
Le lendemain, dans une plain que longe un coin de forêt de Compiègne, les témoins nous placent. Je relève le collet de la redingote classique et j'attends le pistolet qui va m'être mis dans la main.
Maintenant veuillez me suivre avec quelque attention dans les détails techniques que je vous ai épargnés sur mes autres rencontres, et qui peuvent être médités, au cas, qui n'a malheureusement rien d'invraisemblable, où de nouvelles rencontres au pistolet braveraient les ois contre le duel en général.
Nous sommes à la distance relativement bénigne de trente pas. Conformément à la formule du commandement : "Êtes-vous prêts?"  le témoin qui dirigeait le combat, sur la réponse "Oui", prononce distinctement, mais assez vite, seconde par seconde, une, deux, trois. Passé trois, on n'avait plus le droit de faire usage de son arme.
Ayant tiré tout de suite après un, j'avais le temps de voir que je n'étais pas touché, de ramener le pistolet à mon visage pour le protéger, les minutes semblent des siècles.
Et je compte.
Or c'est bien près d'une demi-minute que Feuillant m'ajusta. En tous cas il tira après le coup de trois, qui me jeta sur le sol, les quatre fers en l'air.
Au premier moment je crus à un traîtrise et refusai de prendre la main qui m'était tendue, en protestant : "Vous avez tiré après le commandement." La vérité, établie par les témoins, est qu'il n'avait pas entendu le commandement, le bruit de détonation produit par ma balle ayant couvert la voix du directeur du combat.
Conclusion : Absurde déjà au visé, le duel au pistolet l'est dix fois plus au commandement.
Par la suite, Feuillant ne me garda pas rancune de m'avoir à moitié tué en dehors des règles. Pendant les cinq mois que je fus cloué au lit, il envoya prendre de mes nouvelles tous les deux jours. Quand je pus me lever, il me fit parvenir l'adresse d'un fabricant de béquilles hors ligne à l'entendre et son attendrissement quand il parlait de moi finit par me gagner. Deux ans après je lui servais de témoin, comme je vous le conterai tout à l'heure." 

Cet épisode, d'après Auriant, se déroulait le "11 ou le 12 août 1868" [12].
Mais revenons à Jollivet, témoin de Feuillant  [
13] :
"A la même époque, Feuillant vint me trouver un matin, très ému, d'avoir à me demander de l'assister, encouragé comme Cadoudal, tout à l'heure, par la certitude à ses yeux que son affaire était plus que limpide. Ayant appris qu'un Mexicain avait jeté les yeux sur une femme à qui il voulait du bien, il lui avait crié la veille chez Bignon : "Vous êtes un misérable."
Et, comme il avait appris un peu de géographie avant de faire cet éclat :
"Vous prendrez, avait-il hurlé, le train du Havre ce soir pour la Vera-Cruz !"
C'était le bannissement.
- Je vous en supplie, ajouta Feuillant avec des trémolos attendis dans la voix, soyez mon témoin ou je croirai que vous m'en voulez de Compiègne.
C'était la carte forcée pour le chevaleresque d'Artagnan que je me flattais d'être.
A six heures du matin, par un froid de canard, Alfonso, qui est venu me prendre dans un landau de louage, et moi, déballons chez notre client, rue Royale. Nous montons les deux étages, sonnons, carillonnons. Personne ne vient ouvrir. Alfonso s'indigne, s'échauffe, défonce à moitié la porte à coups de pieds accompagnés de cris et de jurons à réveiller toute la rue Royale et le curé de la Madeleine... Enfin des pas d'homme font craquer le parquet de l'appartement. La porte s'ouvre, Feuillant en chemise après avoir passé ses deux mains sur ses yeux embroussaillés de sommeil, nous demande :
- Qu'est-ce que vous f... là ?
Alfonso ravale un juron espagnol, et il y en a dans la langue du Cid ! et me laisse parler. Je rappelle à Feuillant qu'il a un duel pour ce matin même et que ce n'est guère correct de faire droguer le Mexicain et ses amis qui ont l'air très bien.
Feuillant reprend à moitié ses esprits pour expliquer son retard :
- C'est la faute à Édouard (Édouard, c'est son domestique, un nègre) qui devait me réveiller. Il est des pays chauds. Par ces temps de chien comme il en fait depuis huit jours, je lui ai permis de prendre mon bois pour chauffer sa chambre du sixième... Il sera tombé dans le feu.
Alfonso intervient, péremptoire.
- Attends un peu, je vais le secouer dans sa chambre, ton moricaud !
- Ne monte pas le réveiller. Ca le froisserait et je tiens à le garder, je n'ai jamais eu un valet de chambre si dévoué et si respectueux.
L'éloge d'Édouard se continue en litanies pendant que son maître s'habille. Tout en grognant, Alfonso aide celui-ci à passer sa pelisse. Nous voici dans la rue devant le landau. Feuillant s'arrête brusquement en dévisageant le cocher.
- Qu'est-ce que tu as encore ? bougonne Alfonso.
Feuillant déclare :
- Cet homme est mon ennemi. Je l'ai connu aux chasseurs d'Afrique. Nous nous sommes flanqué des coups tout le temps, même les jours de sortie. Je ne monte pas dans sa sale guimbarde.
Alfonso rugit, saute sur les épées enroulées dans la capote du landau, les dégage de leur fourreau de serge verte, en saisit une, donne l'autre à Feuillant, et crie :
- En garde !
Cela se gâtait si fort que j'en eus assez de mon rôle effacé. D'un bond je saute dans le landau, d'où je jette à l'ennemi de Feuillant mon adresse,16, rue Moncey !
Les deux toqués prêts à ferrailler entendent, lèvent la tête, voient le fouet levé à ma demande, comprennent. Triple éclat de rire... Les épées remises dans le fourreau, en route pour La Celle-Saint-Cloud !
Trajet sans incident, à part un léger accrochage d'une voiture de maraîchers au tournant de la place de l'Étoile, qui fit jeter à Feuillant un bref : "Cette canaille l'a fait exprès", auquel le cocher qui avait entendu se borna à opposer un dos dédaigneux. Pendant qu'Alfonso, excellente épée, je crois vous l'avoir dit, faisait à notre client ses dernières recommandations :
- Tu tires comme un pied. Si tu charges le nez en avant, tu es sûr d'écoper.
- Suis clame, répond Feuillant en haussant les épaules.
Je vous passe les phases d'une rencontre qui procura à Alfonso comme à moi, l'humiliation de passer pour des blagueurs, quand nous en fîmes le récit absolument sincère. Feuillant "écopa" successivement de sept coups d'épée dans la figure. Vous entendez : sept. Deux sur les joues, un sur le menton, les quatre autres encadrant chacun des deux yeux. Comme la dernière piqûre ne permettait plus au blessé d'y voir plus clair, le combat cessa et notre procès-verbal déclara les deux honneurs satisfaits.
Les deux honneurs ne furent pas seuls à se réjouir. Pendant que nous nous occupions à panser de notre mieux le visage de Feuillant, entaille par entaille, je relevai un moment la tête dans la direction de notre landau. Il ne m'échappa pas que notre cocher, debout sur son siège, suivait de l'œil les phases de combat désavantageux pour son ancien adversaire, avec une jubilation où il y avait de l'extase.
Épilogue. Le lendemain, Heeckeren étant allé prendre des nouvelles du duel, apprit par Édouard que "Monsieur était chez son médecin" et demanda au valet respectueux le résultat de la rencontre. Édouard, la figure épanouie d'aise, tapant chaque fois sur sa cuisse, renseigna :
- Sept dans la gueule, Monsieur le baron !"


1870 : L'Armée du Rhin

On retrouve Xavier Feuillant aux Chasseurs de la Garde Impériale à l'ouverture de la guerre de 1870 : il y est Engagé Volontaire comme Chasseur "pour la durée de la Guerre" le 25 Juillet 1870.
Il sera promu Brigadier le 14 Août, et Maréchal des Logis le 7 Octobre - il est alors présent sous Metz.


CDV Friedr. bruckmann's Verlag, München & Berlin
Ansichten des Kriegschauplatzes. 40.Metz vom Fort Queulen aus.I.

Feuillant a relaté une de ses expérience de campagne dans Le Gaulois [14]:
"En 1870, pendant le siège de Metz, le jour de la bataille de Ladonchamps, le général Halna du Fretay, près de qui j'étais attaché, m'envoya en reconnaissance vers le château. J'arrivai à un endroit où les chasseurs à pied de la garde impériale étaient très chaudement engagés. le feu de l'ennemi, très violent à cet endroit, faisait de grands ravages au milieu d'eux, ce qui ne les empêchait pas d'avancer à l'assaut du château, dont il s'emparèrent à la baïonnette. J'allai continuer ma route lorsque je vis au milieu d'un tas de blessés un prêtre accroupi soutenant un chasseur dans ses bras. l'endroit était tellement dangereux, je le vis si exposé que je ne pus m'empêcher de m'arrêter une minute: j'avais reconnu la pèlerine et le petit capuchon des Assomptionnistes, ayant été élevé dans leur collège à Clichy. En relevant la tête, je reconnais le P. Pernet, mon ancien professeur. Il me dit: 'Je donne le passeport à ces pauvres enfants qui vont paraître devant Dieu. Ne restez pas là ou bientôt je vous donnerais le vôtre'. Eh bien, mon Père, vous croyez-vous à l'abri des balles et des obus? 'Oh! moi, que la volonté de Dieu soit faite, je dois être près de ceux qui souffrent...".

Les combats de Ladonchamps auront lieu les 2 et 3 Octobre 1871 (où le général Gibon s'empare du château de Ladonchamps et de la ferme de Sainte-Agathe), et la bataille de Ladonchamps proprement dite (ou bataille de Bellevue) le 7 Octobre.
Feuillant est décoré de la Médaille Militaire le 19 Octobre.
Nous ne sommes donc plus très loin de la capitulation de l'Armée du Rhin (27 octobre).

Mais il ne sera pas dit que notre esprit fort s'accommodera de la situation de prisonnier !
Il s'évade en effet de Metz, pour poursuivre la lutte avec l'Armée du Nord [
15] :
"Citons aussi l'évasion du maréchal des logis Paul Frémy, des Chasseurs à cheval de la Garde, porte-fanion du général Bourbaki, et celle du sous-officier Xavier Feuillant, du même régiment, qui, plus tard, commanda l'escadron de dragons de l'armée de Faidherbe, dit Dragons du Nord."

Son itinéraire d'évadé l'amènera par la Belgique, comme s'en souviendra un de ses amis, Léon Duchemin [37] :
"C'était un coup d'œil bien autrement pittoresque il y a deux ans, au temps du siége. Les personnalités les plus connues, les plus parisiennes, traversaient Bruxelles ou y séjournaient; les unes, rentrant en France, avaient été surprises par la brusque interruption des communications ; les autres, venant des bords de la mer, de Londres, que sais-je? cherchaient un abri pour attendre en paix la fin de la tourmente. (...)  Xavier Feuillant, de Féligonde, Charette et cent officiers de tous grades, échappés de Metz ou de Sedan, se serraient la main dans les rues avant de retourner prendre du service en France ou d'aller soigner leurs glorieuses blessures, et Xavier, que j'accompagnai jusqu'à Lille pendant que je regagnais Tours, me chargeait de commissions pour Paris et d'envoyer des pigeons à une jolie blonde infidèle qui, en ce moment-là, se livrait exactement à la même occupation que nous. Elle aussi prenait le train."


L'Armée du Nord

L'armée du Nord est alors en cours de formation, sous les ordres du Général Bourbaki (qui avait quitté l'Armée du Rhin pour se rendre en Angleterre auprès de l'Impératrice - et vite en revenir !) [16] :
"(...) Sur ce entrefaites, vers le 22 octobre arrivait le général Bourbaki, envoyé par le gouvernement de Tours, après sa romanesque sortie de Metz, pour prendre le commandement supérieur de la région du Nord. Bourbaki avait certes bien peu d'illusions. Sous son énergique impulsion cependant, avec le concours du général Farre, resté auprès de lui comme chef d'état-major, l'organisation à peine ébauchée se coordonnait, et prenait rapidement une certaine consistance. On développait l'artillerie, on multipliait les approvisionnemens (sic) de guerre, on créait un petit noyau de cavalerie avec quelques escadrons de dragons et de gendarmes. Quant à l'infanterie, elle se composait de régimens (sic) de marche organisés dans les dépôts et de bataillons de mobiles pris dans le pays ou appelés des départemens (sic) voisins.
Une circonstance d'ailleurs favorisait de jour en jour la formation de cette armée nouvelle. C'est par le nord que passaient tous les officiers, les sous-officiers qui s'étaient dérobés à la capitulation de Sedan, ceux qui s'échappaient des prisons d'Allemagne, et bientôt les évadés de Metz. De ce nombre étaient le colonel Lecointe, qui venait de commander un régiment de la garde et qu'on faisait général, le chef d'escadron Charon, à qui on donnait le commandement de l'artillerie. le général Faidherbe assure qu'on retrouvait ainsi près de 300 officiers ; c'était un élément précieux pour l'armée du nord, qui s'en est toujours ressentie.(...)"

C'est alors que Xavier Feuillant rejoint l'Armée du nord, promu sous-lieutenant le 7 Novembre 1870.
Bourbaki, destitué, quittera l'Armée du Nord le 19 Novembre, et le commandement de cette armée, après un intérim du Général Farre, sera confié par Gambetta au Général Faidherbe. 

Feuillant est affecté aux Dragons du Nord - on retrouve souvent des informations contradictoires quant à l'organisation de la Cavalerie de l'Armée du Nord ; Léonce Rousset nous en propose une explication [17bis] :
"Note I.
LES DRAGONS DU NORD
Les ordres de bataille de l'armée du Nord, qui figurent aux pages 359 et 340 du présent volume, limitent à deux escadrons de dragons l'effectif de cavalerie mis à la disposition du général Faidherbe. Mais, bien que reproduisant exactement des documents officiels, ils sont, sous ce rapport, incomplets, ainsi que j'ai pu le constater depuis leur première publication. Il résulte en effet, tant de témoignages irréfutables que de l'existence de certaines pièces administratives établies lors de la constitution des forces françaises du Nord, que l'armée du général Faidherbe a possédé un régiment comptant jusqu'à cinq escadrons et désigné sous le nom de Dragons du Nord. (Il est d'ailleurs question de ces cinq escadrons dans la relation de la bataille de Saint-Quentin (page 205, note 2).
Tout d'abord, le général Bourbaki avait, dès le mois de novembre 1870, fait former deux escadrons : 1° avec les quelques détachements et isolés échappés aux catastrophes de Metz et de Sedan, ou évadés de villes de garnison occupées par l'ennemi ; 2° avec environ 80 cavaliers trouvés dans les places du Nord, où, chose assez étrange, ils avaient été laissés, eux et leurs chevaux, pour faire le service de plantons. ces deux escadrons, sous les ordres du commandant Roché, ont assisté aux batailles d'Amiens et de l'Hallue.
Le 23 décembre, un troisième escadron vint rejoindre l'armée, puis quelques jours après Bapaume, un quatrième. Le régiment eut alors à sa tête le colonel Barbault de Lamotte, et le Lieutenant-colonel Beaussin. Enfin, le 19 janvier, veille de la bataille de Saint-Quentin, un cinquième escadron, composé en majeure partie d'engagés volontaires n'ayant que quelques jours de service, arriva à son tour. c'est à lui qu'advint la fâcheuse aventure de Roupy et de l'Epine de Dallon (relatée page 214). pendant la bataille du 19, les deux premiers escadrons se tinrent à l'aile gauche de l'armée de Faidherbe ; le 3°, avec le colonel, resta vers le centre, aux côtés de l'artillerie du général du Bessol ; le 4° fut envoyé reconnaître la route de Cambrai.
Tel est, résumé très succinctement, l'historique des Dragons du Nord."

Le manque de cavalerie sera un des handicaps de l'Armée du Nord, qui ne pourra pas compter sur un service de reconnaissance pourtant capital dans le jeu de chat et de la souris qu'elle entame avec les Allemands [17] :
"Le commandant en chef ne dispose, pour le service d'exploration, que des éclaireurs à cheval Feuillant, de deux escadrons du 7e dragons de marche et du bataillon de reconnaissance Jourdan. Tous ces éléments, les dragons surtout, avec force abus du tir à cheval et à pied, songent plus à faire quelques prisonniers qu'à renseigner. Le général Faidherbe semble d'ailleurs compter beaucoup plus sur le bataillon Jourdan que sur sa cavalerie."

Ces  "Dragons du Nord" constitueront le noyau du nouveau 7e Dragons [17] :
"En exécution des ordres du ministre, la cavalerie de l'armée du Nord sera organisée ainsi qu'il suit : les 4 premiers escadrons de dragons, formés à Lille sous la dénomination de dragons du Nord, appartiendront, à dater d'aujourd'hui 1er janvier, au 7e régiment de dragons et formeront les 4 premiers escadrons de ce régiment".

Xavier Feuillant se retrouvera donc intégré au 7ème Dragons en date du 1er Janvier 1871. 
Il y sera porté comme sous-lieutenant au Premier Escadron commandé par le Capitaine Barthal 
[18].

Il est toutefois "nommé comt. en chef des éclaireurs à cheval de l'armée du Nord suivant ordre en date du 1er Janvier 1871".

Une copie conforme de cet ordre (en fait daté du 4 Janvier) est insérée dans le dossier militaire de Xavier Feuillant :


"Ordre
Il sera créé à l'armée du Nord, un corps de cavalerie chargé d'éclairer au loin la marche de l'ennemi.
Ce corps sera composé de deux pelotons de Dragons de 25 hommes chacun, sous les ordres de M. Feuillant Sous Lieutenant au 7e Dragons. Il lui sera adjoint M. André Lieutenant de la Garde mobile. Les 50 hommes comprendront 3 Sous Officiers et 6 Brigadiers.
Comme il est indispensable que les cavaliers soient des gens de bonne volonté et très aptes à remplir la mission qui leur est confiée, le commandant des éclaireurs fera lui-même le choix de ses hommes dans les 3 Escadrons de Dragons.
Il devra du reste s'entendre, pour cette organisation, avec M. le Colonel commandant la Cavalerie.
Les cavaliers seront toujours bien montés et les chevaux indisponibles seront remplacés par les Escadrons de Dragons attachés à l'Armée.
Il sera attribué à ce détachement d'éclaireurs, une solde spéciale dans les vivres de Campagne (1)

Boileux-au-Mout le 4 Janvier 1871
Le Général en chef
Commandant l'Armée du Nord
Signé Faidherbe

(1)                        F
Sous-officiers -1,50
Brigadiers-----1,25
Cavaliers------1,00"


Xavier Feuillant s'illustrera lors de la Bataille de Saint-Quentin (19 Janvier 1871) ; un ordre du jour de l'Armée du Nord relate [19]:
"Toute l’Armée française battant en retraite, le commandant Feuillant, des éclaireurs à cheval de l’armée du Nord, et le lieutenant André du même corps, entourés de leurs dragons, et soutenus par le commandant Richard, aide de camp du général Faidherbe, refusant de se porter en arrière et rassemblant autour d’eux tous les clairons qu’ils purent rencontrer, leur firent sonner la charge aux cris de « Vive la France ! » L’effet produit sur les troupes fut tel, que plusieurs bataillons se rallièrent, se portèrent au pas de course dans le faubourg Saint-martin, se déployant ensuite à droite et à gauche en forçant les tirailleurs prussiens à se retirer en désordre. Trois fois de suite, ces braves soldats, combattant sans souliers et sans cartouches, s’emparèrent des hauteurs dominant la route de Roupy. Ce ne fut qu’à la nuit que les troupes se replièrent derrière les barricades faites à l’entrée de la ville par une compagnie du génie. Elles disputèrent le terrain longtemps encore et donnèrent ainsi le temps au reste de l’armée de se replier par la route de Cambrai."

Cette résistance de l'armée du Nord fera du bruit jusque dans les hautes sphères de l'armée Allemande - d'après le Comte d'Hérisson [20]:
"Au cours de ces longues et pénibles négociations, je me souviens d'avoir vu trois fois le chancelier de l'Empire sérieusement en colère. Je vais conter cette première crise d'emportement ; la seconde se produisit à propos de la défense de Saint-Quentin, que M. de Bismarck jugeait en chef allemand furieux d'avoir vu une ville ouverte forcer, par une résistance inattendue, une armée allemande revenir sur ses pas, et couvrir la retraite d'une armée française. Il ne pouvait pardonner au courage et au patriotisme d'un simple lieutenant, devenu commandant par la force des choses, d'avoir surpris le grand état-major allemand et d'avoir dérangé ses calculs. Ce lieutenant était mon ami, M. Xavier Feuillant. (...)"

C'en était toutefois fini de la guerre avec l'Allemagne, mais pas des combats [21]:
"Après la signature de l'armistice, le 28 janvier, les 1er et 2e escadrons regagnent, le 5 février, Valenciennes, et les 3e et 4e, Cambrai, où ils tiennent garnison jusqu'au mois d'avril.
(...)
A peine les préliminaires de paix étaient-ils ratifiés par l'Assemblée Nationale, qu'éclatait à Paris la terrible insurrection dénommée la Commune, et fomentée par des Français sous les yeux des armées allemandes qui occupaient toujours la banlieue.
Le 7e Dragons eut le pénible devoir d’aider à repousser cette triste insurrection."

Feuillant est fait Chevalier de la Légion d'Honneur le 28 Février 1871.


La Commune - L'Armée de Versailles

Notre personnage ne reste pas inactif (ce n'est certes pas son tempérament !), dans cette période qui précède les hostilités de la commune [36] :
"Voici maintenant un autre renseignement non moins curieux qui prouve que, dès le premier jour de la Commune, M. Thiers refusa un secours qui lu aurait permis d'en avoir raison facilement. 
Le général Farre était major général, en février 1871, de l'armée que commandait à Cherbourg le général de Pointe de Gévigny. Cette armée avait été formée de l'armée du Nord, supprimée après Saint-Quentin; elle comptait à peu près 35 000 hommes et un matériel de chemin de fer presque intact, pouvant transporter ces 35 000 hommes en quarante-huit heures. 
Le général en chef chargea le général Farre d'envoyer un de ses officiers d'ordonnance à Paris, aussitôt après la nouvelle que la Commune avait éclaté, afin d'offrir à M. Thiers le concours de l'armée de Cherbourg, dont il était sûr au point de vue moral ; s'engageant à prendre Paris dans les quarante-huit heures suivantes, sans coup férir.
Cet officier d'ordonnance était M. Xavier Feuillant. 
Il vint à Paris, se rendit compte de la position, vit incidemment l'abbé Deguerry, dans son bureau à l'Assomption, et se rendit à Versailles auprès de M. Thiers. 
Dans son entretien avec l'abbé Deguerry, M. Feuillant lui avait conseillé de partir sans perdre de temps. Réponse de l'abbé : Un prêtre est un soldat qui doit savoir mourir à son poste. C'est en effet le sort que lui réservait l'avenir. 
M. Feuillant était accompagné de sa mère lors de sa visite au curé de la Madeleine. C'est chez elle, 13, rue Royale, que le trésor et les ornements de la Madeleine avaient été cachés. Mme André facilite à M. Feuillant une audience immédiate de M. Thiers. 
Réponse de M. Thiers à M. Feuillant: 
« Le général de Pointe de Gévigny est fou. Je le remercie de sa bonne volonté absolument inutile. » — Conversation grincheuse que M. Thiers termine en disant qu'une armée se forme à Versailles qui suffira à tous les besoins. M. Saint-Genest, du Figaro, M. de Pressensé ont été mis au courant de ces négociations. 
Lettre de M. Feuillant à son chef pour le tenir au courant des négociations. 
Réponse du général Farre ainsi conçue : 
« Mon cher Ami, 
« Nous vous remercions; nous craignons bien que vous ne voyiez très juste. Le seul conseil que nous puissions vous donner, est, puisque vous nous dites en avoir les moyens, d'informer le Gouvernement très exactement de ce que vous savez. 
« Tâchez de savoir ce qu'il compte faire; car rien ne peut avoir lieu sans son assentiment et son initiative. Comme nous avons tout lieu de penser que d'un moment à l'autre nous pouvons quitter Cherbourg, nous vous engageons à rester encore à Paris. Faites avec cœur, énergie et le courage qui vous distingue la démarche que nous vous conseillons. Faites-nous en connaître le résultat. Donnez-nous votre adresse à Versailles, pour que nous puissions vous y adresser une lettre ou une dépêche télégraphique au besoin. — Votre messager attend. Je me hâte de terminer, en vous assurant, tant au nom du général en chef qu'au mien, de notre bien vive amitié. 
« FARRE.
« 31 mars 1871.
« P.-S. — Un des moyens : la Chambre actuelle pourrait être un objet de suspicion, à cause de la diversité des partis, de la part même des honnêtes gens de Paris. 
« Si le Gouvernement n'a pas l'énergie d'agir, il faut qu'il fasse immédiatement une loi pour de nouvelles élections et que tout repasse au creuset, sans toutefois mettre en question l'existence de la République, qui seule peut, sinon concilier, du moins atténuer et réprimer les passions et les exigences des divers partis. 
« Sans hésiter, voyez le Gouvernement et faites-lui part de tout ce que vous aurez appris et de ce que nous avons dit. 
« Adieu, encore. 
A Monsieur Xavier Feuillant, officier d'ordonnance. »

Son régiment, pendant ce temps-là, s'apprêtait à entrer en action :
"Dans les derniers jours de mars, un certain nombre d'officiers du régiment qui avaient été fait prisonniers à Metz, rejoignirent le corps à Valenciennes. Le colonel de Gressot reprit, le 3 avril, le commandement au colonel Barbault de la Motte qui, un mois plus tard, fut nommé au commandement du 13e dragons.
Le 7e reçut bientôt l'ordre d'aller rejoindre à Versailles l'armée qui s'organisait pour la répression de l'insurrection qui, maîtresse de la capitale, se livrait aux pires excès.
Les quatre escadrons, à l'effectif d'une centaine d'hommes par escadron, quittèrent Valenciennes le 10 avril (...) Transportés à Versailles en chemin de fer, ils y arrivèrent le 11. Jusqu'au 15 ils bivouaquèrent au lieu dit : la Ménagerie du Palais, puis furent dirigés sur Wissous, au sud de Paris, où ils restèrent jusqu'au 20 mai.
Le 7e Dragons, affecté à la brigade
Bernis, comptait à la division Beyssière du 3e corps du Barail. Non loin des cantonnements qu'il occupait à Wissous, se trouvaient ceux de 4e, du 8e Dragons et du 6e Chasseurs.
Dès le 21, le lendemain de son arrivée à Wissous, le régiment tout entier, à l'exception d'un escadron laissé en grand'garde, exécute une reconnaissance sur l'Hay, Chevilly et Villejuif. Quelques coups de feu sont échangés en avant de ce village, sans grand résultat."

"Sans grand résultat" ici, mais au même moment, Feuillant était détaché auprès du chef de la 1ère Division de ce 3e Corps du Barail, son ancien Général de division lorsqu'il était aux Chasseurs de la Garde :
"Le général Halna du Fretay, commandant la 1ere Division du 3ème Corps, certifie que M. Feuillant, Officier d’Ordonnance, a reçu un obus qui a éclaté le ventre de son cheval pendant qu’il accomplissait une mission dont nous l’avions chargée le 21 mai 1871, en défendant Choisy-le-Roi contre les insurgés." [22]
"Cet obus, en éclatant, a projeté en l’air M. Feuillant, qui en retombant, a été gravement contusionné et dans l’impossibilité de faire aucun service pendant quelques jours. Le cheval était en marmelade, la selle, les armes brisées."
[23]

Ce 21 mai est aussi le début de la "Semaine Sanglante", qui marquera la fin de la Commune.

Le Médecin-Major du 7e Chasseurs (parmi lesquels il semble que Feuillant se trouvait alors détaché) décrira ses blessures :
"(...) M. feuillant a été atteint le 21 Mai 1871, au combat de Choisy-le-Roy, de contusion profonde et violente de la colonne vertébrale et de la cuisse gauche, avec commotion cerebro-spinale par suite d'éclat d'obus et de chute de cheval."


L'après guerre

Xavier Feuillant trouvera encore le moyen de faire parler de lui, dans le style qui lui est si particulier.
C'est Juliette Adam, la célèbre écrivain, polémiste et salonnière qui nous en fait part
[24]:
"Grand émoi dans Paris. On raconte que Xavier Feuillant a giflé l'Henckel de la Païva aux Champs-Elysées."

Elle parle ici de  Guido Graf Henckel Fürst von Donnersmarck, un cousin de Bismarck, dont il se disait alors qu'il était celui qui avait insisté pour faire augmenter le montant de l'indemnité de guerre (les six milliards de francs, ramenés à cinq) exigée par l'Allemagne. Ce rôle supposé lui a valu une grande antipathie (certainement de Juliette Adam en tous cas !), d'autant que Henckel habitait Paris avant-guerre.

"La Païva" est une aventurière de l'époque, dont voilà le savoureux portrait, par le Comte de Viel Castel [25]:
"Dans les hauts bas fonds de la société parisienne il existe une certaine Madame de Païva qui est la reine des femmes entretenues, la lionne du genre. Cette femme, Russe d'origine, a été longtemps la maîtresse de Hertz, le pianiste, puis celle du duc de Guiche aujourd'hui duc de Grammont, puis aussi celle d'une certaine quantité de notabilités plus ou moins notables. Bref comme les années se passaient sans amener ni une position, ni la fortune, elle prit la ferme résolution de conquérir l'une et l'autre.
D'abord elle sut rendre amoureux fou un certain Portugais nommé le marquis de Païva, cousin de l'envoyé actuel de Portugal, et elle le rendit si bien amoureux et si bien fou que l'infortuné lui offrit sa main qui fut, comme on le pense, acceptée.
Le lendemain du mariage, au réveil des nouveaux époux, Madame de Païva tint à peu près ce langage à son amoureux satisfait :
"Vous avez voulu coucher avec moi, et vous y êtes parvenu en faisant de moi votre femme. Vous m'avez donné votre nom, je me suis acquittée cette nuit. J'ai agi en honnête femme, je voulais une position, je la tiens, mais vous, Monsieur de Païva, vous n'avez pour femme qu'une p..., vous ne pouvez la présenter nulle part, vous ne pouvez recevoir personne ; il est donc nécessaire de nous séparer, retournez en Portugal, moi je reste ici avec votre nom, et je demeure p..."

Le Marquis de Païva retournera d'abord au Portugal - il finira par se suicider.
"La Païva" a donné son nom a un extravagant palais que Donnersmarck lui fit construire au 25 des Champs Elysées - on y remarque ainsi une célèbre baignoire en argent à trois robinets - le troisième servant exclusivement au champagne !
Donnersmarck (qui épousera sa maîtresse le 28 Octobre 1871 à Paris) est nommé Gouverneur de Metz à la fin de la guerre.

Mais revenons à la gifle dont bruisse Paris ; Juliette Adam précise dans une note de bas de page :
"J'ai écrit à M. Xavier Feuillant pour lui demander quelle était au vrai l'aventure. Voici ce qu'il m'a fait l'honneur de me répondre :
1° Je n'ai pas
giflé Henckel, je lui ai coupé la figure à coups de fouet depuis le 118 de l'avenue des Champs-Élysées jusqu'à hauteur de son hôtel. Il était à cheval, moi dans mon phaéton. J'avais à côté de moi dans ma voiture Arthur Meyer. Assistaient à cette correction des fenêtres du 118 des Champs-Élysées, où j'avais déjeuné, le prince et la princesse Achille Murat, le général Fleury, le prince J.Murat, général de brigade, Maurice d'Hérisson, Paul de Cassagnac.
2° Après cette équipée je demandai de suite à mon beau-père le marquis de Contades-Gizeux et au général duc de Lesparre de me servir de témoins; Ces Messieurs allèrent se mettre séance tenante aux ordres d'Henckel. Celui-ci, après vingt-quatre heures de réflexion !! ne donna pas suite aux coups avec lesquels je lui avais marqué la figure d'un X sanglant.
3° A quelque temps de là (cette scène se passait en mai 1872), je rencontrai au Vaudeville, dans la première baignoire de gauche, Henckel. Pendant l'entr'acte j'allai avec ma canne lui intimer l'ordre de sortir, lui défendant de rester dans un endroit public où je me trouverais tant qu'il ne se serait pas battu avec moi. Je me servis à son égard de qualifications peu courtoises.
4° La cause de ma colère a été le rôle odieux qu'il a joué quand il a été nommé gouverneur de la Lorraine, faisant
massacrer des gens, brûler des maisons sous prétexte qu'on ne lui payait pas les réquisitions qu'il réclamait. Il a agi d'autant plus comme un sauvage qu'à Paris, avant la guerre, il était très accueilli partout et qu'après sa rentrée triomphante à la défaite de Paris, il a eu l'audace de rentrer chez lui, hôtel Païva, en grand uniforme, suivi de son état-major, ce bourreau de Metz, de la Lorraine !"

La Païva et Donnersmarck seront accusés d'espionnage et expulsés de France en 1878.


Passage à l'Armée Territoriale

L'Annuaire Militaire de 1873 nous révèle que Xavier Feuillant (qui avait été proposé par le Général Halna du Fretay pour le grade de Lieutenant le 30 Mai 1871) est toujours sous-lieutenant au 7e Dragons .

L'Inspection Générale de 1872 nous offre une savoureuse note sous la plume acérée de du Barail :
1872- "Les débuts assez lointains de M.Feuillant dans la carrière ont été quelque peu orageux et difficiles. Il semble être bien revenu de ses erreurs de jeunesse. Rengagé pour la durée de la guerre après libération il est arrivé rapidement à l'épaulette. Médaillé, décoré pour son brillant courage au feu, c'est aujourd'hui un officier bien posé et décidé à compléter rapidement son instruction militaire. Il est intelligent - de l'originalité dans l'esprit. Il est fort connu dans le monde. Manque souvent de jugement, parfois de bon sens. En somme officier de valeur." Général du Barail.

Il a suivi les Cours de l'Ecole de Cavalerie de Saumur comme Sous-Lieutenant d'instruction du 1er Mai au 31 Décembre 1872 ; il en sortira avec le No. 31 sur 54 avec cette appréciation :
"Mr. Feuillant a su, sans s'être donné tous les tracas d'un travail très assidu, se maintenir dans ses cours à une hauteur passable ; je suis étonné de ce résultat avec un caractère que j'avais toujours su léger.
C'est un officier très intelligent qui a pas mal appris, et qui sortira à la hauteur de ses devoirs.
Il monte parfaitement à cheval, en habile cavalier.
Son éducation est celle d'un homme du monde qui cherche à devenir sérieux."

Feuillant démissionnera le 22 Mai 1873,officiellement motivé par "des intérêts considérables engagés dans une exploitation industrielle".

Il rejoint toutefois bientôt l'Armée Territoriale - affectation qu'il sollicite auprès du Ministre de la Guerre dans un courrier du 11 Octobre 1875 :
"Monsieur le Ministre,
Je viens vous prier de m'accorder, dans l'armée territoriale qui s'organise, un grade de chef d'escadron à la suite de l'arme de la Cavalerie, détaché dans le service des Etats-Majors, grade que j'ai déjà rempli à l'armée du Nord, pendant la guerre de 1870 à titre auxiliaire à la tête de dragons.
J'espère, monsieur le Ministre, que vous ne trouverez pas ma demande trop indiscrète, en lisant mes états de service et l'opinion de mes chefs.
J'ai 33 ans, j'ai été médaillé de décoré pour actions d'éclat, j'ai des campagnes, en Afrique, en Syrie, aux armées du Rhin et du Nord, sous les murs de Paris, où j'ai été blessé. J'ai suivi un cours à l'Ecole de Cavalerie de Saumur, comme Officier d'instruction.
Je n'ai, Monsieur le Ministre, qu'un seul désir. Celui d'être en état de servir mon pays, si vous m'en jugez digne, partout et là où je pourrai lui être utile.
Voilà ce qui justifie l'ambition que j'ai l'honneur de vous soumettre. (...)"

Le Bulletin de Renseignements établi alors note "Célibataire. Vigoureux. Assez faiseur d'embarras mais beaucoup d'entrain." 

Il sera nommé Capitaine au 2e de Cavalerie Territoriale (Service d'Etat-Major) le 23 Août 1876. Il est placé "à la suite de l'arme" le 11 Février 1878 "pour un service d'Etat-Major".

Cette position ne l'empêche pas de se rendre en Angleterre, lors de l'enterrement du Prince Impérial (tué  au Zululand le 1er Juin 1879), à Chislehurst, le 12 Juillet 1879 [26]:
"Tout le second Empire, tout ce qui en demeurait, du moins, était là, excepté les officiers en activité. Seuls, les anciens membres de la maison du Prince, Duperrré et d'Espeuilles, avaient reçu l'autorisation nécessaire et purent partager, avec Ligniville et Bachon, l'honneur de se tenir, pendant la messe, aux côtés du cercueil. Les officiers légataires du Prince eurent aussi la permission d'assister aux obsèques. Cette permission fut refusée à tous les autres, y compris les maréchaux Canrobert et Lebœuf. On a prétendu, alors, que l'ambassadeur de la République avait osé discuter avec le gouvernement anglais l'importance des honneurs à rendre e le nombre des coups de canon. Je ne sais si le fait est vrai ; notre gouvernement d'alors était fort capable de cette impudence, mais lord Beaconsfield n'était pas homme à la tolérer".

C'est encore son ami le Comte d'Hérisson qui nous relate la présence de Feuillant à la cérémonie [27]:
"(...) Derrière les députations, une foule énorme s'avance, difficilement contenue par les cordons d'artilleurs et de volontaires du Kent, qui forment la haie. Au sortir des grilles, un instant de désordre et de confusion se produit.
Quelques personnes rétablissent immédiatement l'ordre, et parmi elles, MM. Edouard André, Dréolle, Feuillant, Alexandre de Girardin, qui marchait auparavant à la tête d'une députation avec couronnes, avec MM. Raimbaud et Davilliers.(...)".

Il passe au 5e Régiment Territorial de Cavalerie (Escadron de Dragons) le 26 Mars 1880.


Le Procès

Xavier Feuillant refait parler de lui en 1883. Cette année est marquée par une manifestation des "sans travail", le 9 Mars 1883, que Louise Michel conduisit en brandissant un drapeau noir de l'esplanade des Invalides à la place Maubert, où elle fut dispersée par la police (je parle de la manifestation !).
Louise Michel et Emile Pouget, à l'origine de cette manifestation, furent arrêtés et condamnés à respectivement six et huit ans de prison. 

C'est également le cas de ce coquin de Feuillant, comme le relatera la presse de l'époque [28]:
"GAZETTE DES TRIBUNAUX
(...)
Un dernier écho de la manifestation des "ouvriers sans ouvrage" du mois de mars dernier.
M. Xavier Feuillant comparaissait hier, jeudi, devant la 11e Chambre correctionnelle, présidée par M. Horteloup. On sait que M. Feuillant est prévenu d'avoir excité les ouvriers à marcher sur l'Élysée, et qu'une longue contestation sur la question de compétence a retardé jusqu'à ce jour l'examen du procès.
M. Feuilant déclare être âgé de quarante et un ans ; il est ancien officier.

D. Vous êtes prévenu d'avoir poussé le cri : "A l'Élysée!" pendant la manifestation du 9 mars ?-R. Je passais faubourg St-Honoré ; j'ai répondu simplement à une question d'un de mes amis : "Ils vont à l'Élysée." Mais je n'ai jamais adressé de provocation aux manifestants.

L'inspecteur de police Demailly déclare que M.Feuillant a levé sa canne en l'air, au milieu d'un groupe, en criant : A l'Élysée ! Il se trouvait au coin de la rue du Cirque.

Je l'ai fait immédiatement arrêter, dit l'inspecteur.
D. Le ton sur lequel était prononcé le propos laissait-il un doute sur l'intention de M. Feuillant ?-R. Il ne laissait aucun doute.
M. le président.- M.Feuillant ne semblait pas répondre à une question ? -R. On ne lui en a adressé aucune.
D. Alors il parlait sur un ton de commandement ? -R. Parfaitement, en levant sa canne, comme je l'ai dit. Quelqu'un lui a même crié : "Prenez garde, vous allez vous faire arrêter."

M. Feuillant explique qu'entouré de gardiens de la paix, et très éloigné des manifestants, il n'avait aucune raison de faire entendre une provocation qui ne fût pas arrivée aux oreilles des émeutiers. "C'eût été l'acte d'un fou", dit-il.

M. le président.- Que faisiez-vous faubourg Saint-Honoré ? -R. j'étais allé déjeuner chez un ami. Puis nous avons essayé un cheval avenue d'Antin. ayant appris qu'il y avait une manifestation à l'esplanade des Invalides, je m'y rendis, mais l'esplanade était tranquille. Je rentrais pour faire desvisites avec ma femme quand je fus arrêté près de l'Élysée par la bagarre occasionnée par la manifestation.

Un serrurier, M. Husson, qui se trouvait à côté de M.Feuillant dans la foule, dépose qu'il a bien levé sa canne en l'air en criant "A l'Elysée !" Il parlait d'un ton de commandement, non sur le ton de la conversation, et il s'adressait bien aux manifestants.
M. Gélinard, peintre, accompagnait M. Feuillant :

M. Feuillant, dit-il, rentrait chez lui ; il demeure rue Miromesnil. Les escouades de sergents de ville nous ont barré le chemin. C'est moi qui ai demandé à M.Feuillant : "Où vont ces gens là ?" Il m'a répondu: "A l'Élysée." Aussitôt un individu en bourgeois a requis deux agents de l'arrêter.
Comme j'étais à quelques pas de lui, séparé par un groupe d'agents, M.Feuillant a parlé assez haut.
D. A-t-il fait un geste ?
Le témoin.- Je ne l'ai pas vu.

M. le substitut Bulot requiert la condamnation de M.Feuillant : il trouve une preuve nouvelle de sa culpabilité dans les embarras de procédure qu'il a suscités pour retarder la solution de l'affaire. "S'il y avait eu dans son arrestation un simple malentendu, il eût tenu à le voir se dissiper tout de suite, alors que la mémoire des témoins était absolument fraîche.
Me Duverdy présente la défense de M.Feuillant, dont il rappelle la brillante conduite pendant la guerre.
(...)
Me Duverdy discute ensuite les témoignages et conclut à l'acquittement de son client.
Le Tribunal condamne M.Feuillant à trois mois de prison."

Cette condamnation sera réduite par la cour d'appel de Paris ; le cas fera même écho en Angleterre, relayé par le Times [29] :
"Paris, Thursday, Aug. 30.
(...)
The sentence of three months' imprisonment passed on M. Xavier Feuillant, a Bonapartist journalist, who gave the signal to the bread rioters to march on the Elysée, was to-day reduced, on appeal, to one month."


Cette condamnation n'a alors pas de conséquence sur sa position de Capitaine de Cavalerie Territoriale - Feuillant accomplit ainsi une période d'exercice du 10 au 25 Septembre 1883, ni sur l'opinion qu'on de lui ses supérieurs comme l'indiquent ses notes :
1884:
"Mr Feuillant est un très remarquable officier, très connu pour son entrain. Il a de remarquables services de guerre à l'armée du Rhin, à l'armée du Nord et à l'armée qui a réprimé la commune. Il rendrait de grands services en temps de guerre. Il monte très bien à cheval et a beaucoup d'énergie dans le commandement". Le Lt Colonel du 6e Dragons.  Laurens de Waru.

Il est investi des fonctions d'Adjudant-Major (chargé de faire respecter la discipline !) des 1er et 3eme Escadrons Territoriaux de Dragons de la 5e Région le 5 Septembre 1884.

Le 4 Juillet 1885, "ayant atteint le temps de service exigé par la Loi sur le Recrutement", il sollicite et obtient (en date du 8 Août) d'être maintenu dans son emploi. Cette décision sera importante dans les années à venir.

Il accomplit encore une période d'exercices du 28 Octobre au 9 Novembre 1885 :
1885:
"A accompli une période d'exercice du 28 Octobre au 9 Novembre. b. officier, énergique, vigoureux. Très bon cavalier ; bonne instruction théorique et pratique. A de la fermeté dans le commandement. Fera un bon Capitaine Commandant". Joigny, Novembre 1885. Colonel Rapp.

Il n'est pas convoqué en 1886 - probablement du fait que le Général Carrey de Bellemare, Commandant alors le 5e Corps désire se séparer de lui - les engagements politiques de Feuillant semble commencer à être "encombrants" pour la haute hiérarchie, et une enquête est demandée sur son passé :

"Gouvernement Militaire de Paris - Gendarmerie - Légion de Paris - Compagnie de la Seine.
Paris, le 26 janvier 1886.
Le Capitaine Lemercier Commandant la 1ère Section de Paris au Chef d'Escadron Comt. la Compagnie de la Seine, à Paris.
Mon Commandant,
Conformément aux lettre n° 62 du 12 Janvier courant de Monsieur le Général Comdt. la place de Paris, relatives aux antécédents judiciaires de Monsieur Feuillant (Charles Etienne Xavier) Capitaine aux Escadrons territoriaux de Dragons de la 5e Région, j'ai l'honneur de vous exposer les circonstances qui ont motivé les 4 condamnations ci-après subies par cet officier territorial :
1°- 100F d'amende - à Paris - 10 mai 1872 : coups blessures et injures.
A la suite d'une note émanée de la rédaction du Corsaire M. Rogat a provoqué en duel Mr. Richardet rédacteur en chef de ce journal, la rencontre a eu lieu le 24 Mars 1872 et M. Richardet a reçu une blessure à la poitrine.
M. Feuillant, qui était témoin de M. Rogat a été pour ce fait condamné, ainsi que les 3 autres témoins et le vainqueur, comme complices de la blessure reçue, dans ce duel, par M. Richardet, à 100F d'amende.
2°- 100F d'amende à Paris - 24 avril 1878 : injures publiques.
Dans son No. du 29 mars 1878, le journal le Pays, en réponse à un article inséré dans le journal le Bien Public, par M. Léon Millat, a publié une lettre signée par Xavier Feuillant et Alexandre de Girardin, laquelle se terminait par le passage suivant : "Nous venons, sur la demande expresse de notre client, en son nom et sous sa responsabilité, déclarer que M. Léon Millat est un lâche."
Sur la plainte de M. Léon Millat, le gérant du journal le Pays et les 2 signataires de la lettre publiée par ce dernier journal, ont été condamnés chacun à 100F d'amende et aux frais.
3°- 3 mois de prison - Paris - 12 mars 1883 : provocation à un attroupement.
Manifestation politique.
Le 9 mars 1883, les manifestants remontaient le faubourg St.Honoré ; M. Feuillant se trouvait, par hasard, parmi les spectateurs ; il s'en détacha en élevant sa canne en l'air et, se dirigeant vers le group de manifestants, proféra, sur le ton de commandement, le cri "à l'Elysée !"
C'est à la suite de ce cri queM. Feuillant a été arrêté, conduit au dépôt, puis condamné à 3 mois de prison.
4°- 1 mois de prison - à Paris - 30 Août 1883 : provocation à un attroupement.
Cette dernière affaire n'est que l'épilogue de la précédente, M. Feuillant ayant fait appel du jugement prononcé contre lui le 12 Mars 1883, la cour d'appel, par jugement du 30 Août 183, a réduit à 1 mois de prison la peine précédente.
Ces renseignements m'ont été donnés aux greffes de la cour d'appel et au tribunal correctionnel de la Seine où j'ai pu obtenir la communication des dossiers."

Ce rapport fut transmis au "Général commandant la Place de Paris et le Département de la Seine en exécution de sa note de service No. 305 du 13 (janvier 1886)".

Mais Feuillant compte manifestement quelques soutiens, politiques ou personnels.
Ainsi, si le Général de Brigade Commandant la subdivision de Région dans laquelle réside l'officier écrit au rapport d'inspection 1886 qu' "en raison de ces condamnations, Mr. feuillant ne me paraît pas devoir être maintenu dans les cadres des officiers de l'armée territoriale quoique sa conduite et sa moralité soit bonne", cette note est surchargée d'un "L'inspecteur Général n'est pas de cet avis".

Dans cette situation délicate, le courrier que le Ministre de la Guerre prépare le 23 Février 1886 en réponse au Général Carrey de Bellemarre est un modèle de louvoiement :
"Mon cher Général,
Vous m'avez fait connaître, par lettre en date du 7 Février courant, que vous estimez qu'il y aurait lieu de ne pas maintenir dans les cadres de l'Armée territoriale Mr. le Capitaine Feuillant dont les trois condamnations et l'attitude dénotent une conduite ouvertement hostile à l'état de choses établi.
Bien que j'approuve, en principe, votre manière de voir, je ne puis prendre une mesure de rigueur contre cet officier pour un fait qui remonte au Mois d'Août 1883, alors surtout qu'il a été maintenu après l'âge de 40 ans dans son grade et son emploi par décision spéciale rendue au mois d'Août dernier, sur votre propre proposition.
Je regrette que cette situation ne m'ait pas été signalée à cette époque où, ayant accompli le temps de service exigé par la loi, il pouvait être purement et simplement rayé des cadres de l'armée territoriale.
Dans ces conditions, je ne puis que vous engager à surveiller de très près la conduite de M. Feuillant et à me signaler la première faute qu'il pourra commettre."

Ce courrier, conservé dans le dossier militaire de Xavier Feuillant, porte au crayon la mention suivante :
"Minutes écrites par le Colonel Directeur. Cette lettre n'a pas été envoyée, le général Carrey de Bellemarre ayant quitté le  commandement du 5e Corps d'Armée." 

L'année suivante, Feuillant est convoqué à nouveau pour une période d'instruction, du 4 au 19 Novembre, à la satisfaction de ses chefs :
1887:
"Convoqué en 1887 pour une période d'instruction en même temps que les 3e et 1er escadrons.
Mr.Feuillant est un officier de cavalerie vigoureux et dévoué plein du feu sacré il rendrait de sérieux services en Campagne. Il a du commandement et mérite d'être proposé pour le grade de Chef d'Escadrons."
Le Colonel Lacordère.

Feuillant est d'ailleurs proposé pour le grade de Chef d'Escadrons à cette inspection de 1887.
Le 17 Avril 1888, il devient "Capitaine Adjoint au Chef d'Escadrons".


Le Boulangisme

Comme nombre de Bonapartistes, on retrouve Xavier Feuillant gravitant autour du Général Boulanger ; il est tout d'abord impliqué à titre "professionnel" pourrait-on dire : le Général Boulanger arrive à la Chambre le 12 juillet 1888, et son discours enflammé entraînera un célèbre duel avec Gaston Floquet, le président du Conseil.
Un duel ? Feuillant ne pouvait pas être loin, et assistera le Général Boulanger
[30] :
"Le matin, avant la rencontre, le comte Dillon vint chez lui et lui demanda :
- Tires-tu bien ?
- Pas du tout. Depuis notre dernier assaut à Saint-Cyr, en 1858, je n'ai jamais touché un fleuret.
- Il faut te refaire la main, viens prendre une leçon.
Le général refusa. "Baste, ça n'avait pas d'importance. Il ne lui arriverait rien."
Enfin M.Dillon le décidé. On fit appeler M.Xavier Feuillant, le gentleman bien connu, qui est un bon tireur. Le général et lui s'alignèrent.
En le voyant en garde, M.Feuillant reconnut à qui il avait affaire.
- Vous ne savez rien, mon général.
- Non.
- Mais alors...vous ne pouvez pas parer.
- Non, je charge.
- Mais on se fait embrocher avec ce système-là...
- Ou on embroche.
- Essayez.
Ils ferraillèrent. A la première attaque, le général tombait sur l'épée de M.Feuillant.
- Mon général...vous voyez.
- Tant pis... vous comprenez que je n'ai pas le temps d'apprendre la plus simple parade. Si je veux me mêler de faire de l'escrime, je serai ridicule...Je chargerai comme je vous ai fait tout à l'heure.
Il tint parole. Il attaqua comme un zouave, et, comme il s'était enferré sur le fleuret moucheté de M.Feuillant, il s'enferra sur l'épée pointue de M.Floquet."

La grave blessure récoltée par Boulanger surprit énormément l'opinion publique, et atteint à sa crédibilité : un militaire battu en duel par un civil - et un civil pas fameux escrimeur de surcroît !

L'aventure Boulangiste se poursuivit néanmoins, jusqu'à l'année suivante, où après des succès électoraux (dans un système de candidatures multiples), la tension culmina et on lui fit savoir le 1er Avril 1889 qu'un mandat d'arrêt pour atteinte à la sûreté de l'état allait être lancé contre lui.
Boulanger se réfugia alors en Belgique - pour le plus grand désarroi de ses partisans
[31] :
"Or, un ami de Boulanger se trouve là : Xavier Feuillant, le professeur d'escrime d'avant le duel avec Floquet, une sorte de mousquetaire toujours en mal d'affaires d'honneur. Le Hérissé, qui le connaît, le supplie d'aller chercher le général. Feuillant, en pantalon et redingote de cheval, bottes et éperons, court à la gare du Nord. Cependant, tout Paris est suspendu aux nouvelles. Au cercle de l'Épatant, que l'on inaugure, se propagent les bruits les plus divers : la démission du ministère, un coup de main contre Boulanger. Chez les de Mun, qui donnent un grand dîner, les convives se refusent à croire à la fuite. A minuit, c'est une cohue à la Presse. Laguerre, qui revient avec sa femme d'une soirée chez Millevoye, répète aux journalistes pressés dans les couloirs : «Patientez ! Patientez ! Le général ne va pas tarder !» L'heure du train de Bruxelles passe et toujours point de général"
(...)
Le lendemain, à six heures du matin, le mousquetaire Feuillant, en costume d'équitation, arrive à l'hôtel Mengelle, où est descendu Boulanger sous le nom de M. Bruno.
Feuillant a fait un récit de sa visite, où l'imagination corse accentue peut-être le pittoresque : « Au moment où j'entrais à l'hôtel et où je demandais mon associé de Lyon, M.X..., on me dit que justement il sonne à ce moment. Je me précipite derrière le domestique qui montait à sa chambre, j'entre, et je vois le général, couché, effaré de me voir. Je renvoyai le domestique, fermai la porte à double tour. — « Que voulez-vous, Feuillant? Pourquoi êtes-vous ici? » Vous entendez d'ici tout ce que je lui dis sur la France, ses épaulettes, son épée, son passé, sur ce que le peuple attend de lui. Très ému je l’avais décidé à revenir avec moi. Nous devions rentrer en faisant le tour de Paris par la ligne P.-L.-M. Il irait à la Chambre, et dirait : «Comment, un député n'a pas le droit de s’absenter vingt-quatre heures pour affaires ? On ose dire que j’ai fui ? Me voici à mon banc. Si vous touchez « à un cheveu de ma tête, je me mets sous la protection du peuple de Paris qui m'a élu député. » « Je l'ai aidé à s'habiller Au moment de partir, il me dit : « Une minute, j'entre dans le « cabinet de toilette à côté, je reviens, nous «partons ensemble. »
Il ne fut pas deux minutes absent, rentra en se tordant de rire. Il venait sûrement de causer avec son amie Mme de Bonnemains, agent de M. Constans , et me dit : « Mon pauvre Feuillant, vous êtes tout à fait fou. Retournez à Paris. J’ai donné à manger (sic) au peuple de Paris et quand vous arriverez, « vous verrez que tout sera calme. » Boulanger a probablement eu une velléité de retour, comme il a eu, dans la soirée du 27 janvier, une velléité de coup d'État. Mais il a donné un manifeste « à manger au peuple ».

Effectivement le Général Boulanger adressa un manifeste qui fut publié dans la presse - ce fut la fin du boulangisme, suivie d'ailleurs de peu par celle de Boulanger qui se suicidera le 30 septembre 1891.


Fin de Carrière Militaire

Feuillant, Boulangiste notable donc, n'est pas en odeur de sainteté auprès des instances gouvernementales, qui cherchent à se débarrasser de lui :

"Ministère de l'Intérieur - Direction de la Sûreté Générale - 4e Bureau - Police Générale.
Paris, le 24 Avril 1889.
Monsieur le Ministre et cher Collègue,

Mon attention vient d'être appelée sur le nommé Feuillant (Charles Etienne Xavier), demeurant à Paris, 25, rue de Galilée, qui m'est signalé comme un des agents les plus actifs de la propagande boulangiste. Le sieur Feuillant est capitaine adjudant major à l'Escadron territorial de Dragons de la 5eme région, stationné à Joigny. Il est noté de la façon suivante aux sommiers judiciaires :
100F d'amende, Paris, 10 mai 1872, complicité de coups, duel ;
100F d'amende, Paris, 24 Avril 1878, injures ;
3 mois de prison, Paris, 30 Août 1883, provocation à un attroupement. Cette dernière peine a été réduite à 1 mois de prison.
J'ai cru devoir porter ces faits à votre connaissance afin de vous mettre à même d'apprécier si un individu qui a de tels antécédents judiciaires peut être maintenu dans les cadres de l'armée territoriale.
Agréez, Monsieur le Ministre et cher Collègue, l'assurance de ma haute considération.

Le Ministre de l'Intérieur
Coustons"


"Gouvernement Militaire de Paris - Etat-Major - Commissariat Spécial de Police. No.1101.
Paris, le 1er Mai 1889.
Renseignements
Mr. Feuillant Charles Etienne Xavier, Capitaine-Adjudant-Major à l'Escadron territorial de dragons stationné à Joigny (5e région), demeurant à Paris rue de Galilée No.25, sur la conduite duquel une enquête est demandée par Monsieur le Ministre de la Guerre, est né à Paris le 13 juillet 1842, et s'y est marié le 18 août 1881avec la fille du comte Potocki, dont il a deux enfants.
Après la mort de son père dont il a gaspillé l'héritage, il a collaboré à plusieurs journaux notamment au Gaulois et y a conservé des relations assez étendues. Il a même contracté des dettes et vécu aux dépens de certaines femmes galantes avec lesquelles il avait précédemment fait la noce.
Sa mère, qui lui avait consenti une rente, convertie en 1872 en une donation de 236,000 francs, comme équivalence de la dot donnée à sa sœur, étant décédée il y a une dizaine d'années, lui a laissé une fortune d'une certaine importance qui lui a permis de mener une existence moins bruyante.
Il était alors connu comme un dissipateur et un viveur effréné, mais depuis son mariage ses ardeurs se sont calmées et sa conduite est devenue plus régulière.
Le Commissaire de police"


"Paris, le 8 Mai 1889
Le Général Saussier Gouverneur Militaire de Paris à Monsieur le Ministre de la Guerre (Cabinet)
Monsieur le Ministre,
Par dépêche du 17 Avril dernier vous m'avez adressé, en communication, une lettre de M. le Ministre de l'Intérieur concernant M. Feuillant, Capitaine aux Escadrons territoriaux de Dragons de la 5e Région, en m'invitant à faire une enquête sur la conduite de cet officier de l'armée territoriale.
J'ai l'honneur de vous transmettre, sous ce pli, les résultats de l'enquête à laquelle j'ai fait procéder et de vous faire connaître, mon avis sur la mesure qui pourrait être prise à l'égard de M. Feuillant.
Aucune des condamnations encourues par cet officier territorial, et énoncées dans la lettre de M. le Ministre de l'Intérieur, ne rentre dans la catégorie de celles, qui aux termes du Décret du 31 Août1878, sur l'Etat des officiers de l'armée territoriale, entraînent de plein droit soit la perte du grade, soit la révocation d'office.
La révocation de M. Feuillant ne pourrait donc être prononcée que sur l'avis conforme d'un conseil d'enquête devant lequel il serait envoyé, en raison de  la nature du délit, pour la condamnation correctionnelle prononcée contre lui en 1883. - Mais la condamnation dont il s'agit réduite à un mois de prison est le minimum de la peine d'emprisonnement édictée par l'article 6 de la loi du 7 juin 1848 sur les attroupements pour "provocation à un attroupement non suivi d'effet".
D'autre part, les faits qui ont motivé cette condamnation remontent à 1883, alors que le 26 Août 1885 M. Feuillant, qui avait atteint la limite du temps de service exigée par la loi, était maintenu dans son emploi de capitaine de l'armée territoriale.
Dès lors je pense qu'un conseil d'enquête ne saurait être convoqué pour se prononcer sur des faits déjà connus et appréciés.
Il vous appartient donc de décider si, par application de l'article 1er du Décret  du 3 Février 1880, M. Feuillant sera, de votre part, l'objet d'un rapport concluant à sa mise à la suite ce qui vous permettra de le rayer aussitôt qu'il aura atteint la limite de son temps de service."


Xavier Feuillant sera placé à la suite le 18 Mai 1889, et rayé des cadres le 26 Juin 1889.


L'affaire Dreyfus

Vous ne pensiez pas qu'après toutes ses sorties, Feuillant manquerait à l'appel de la plus célèbre affaire politico-militaire du siècle ?
Eu égard à ses antécédents, il n'est hélas guère étonnant de voir où vont ses sympathies (ah, les mauvaises fréquentations !...).

On le retrouve donc félicitant Esterhazy à la sortie d'une audience du procès Zola [32] :
"Enfin, quand Esterhazy parut avec Pellieux, une même acclamation les salua, mais l'enthousiasme fut surtout pour Esterhazy: "Gloire à la victime du Syndicat !" il se tenait à peine debout pendant que Pellieux pleurait. Ce n'étaient pas seulement les braillards vulgaires à quarante sous qui l'applaudissaient, mais les avocats, les journalistes, les officiers, des femmes, emportées par la contagion ou par un vent de folie. Un ancien officier l'embrassa : "Oh ! mon vieux camarade (4) !".
(...)
(4) Éclair : "C'est M. Xavier Feuillant, ancien sous-officier des cuirassiers de la garde."

Je soupçonne ici la confusion entre Cuirassiers et Chasseurs de la Garde - mais près de trente ans ont déjà passé depuis l'Empire !
On le recroisera, cette fois-ci dans son rôle d'expert es-duels
[33] :
"DEPOSITION ESTERHAZY
du Lundi 23 janvier 1899.
(...)
Après le procès Zola, je voulus, de nouveau, provoquer une des deux personnes dont j'ai parlé plus haut ; à ce moment je fus invité à provoquer le colonel Picquart à qui je ne pensais pas du tout ; le général Gonse en a parlé à Tézenas ; le général de Pellieux me l'a dit à moi ; et Henry, que j'avais été voir, m'a dit textuellement cette phrase : "Tous les cabots de la boîte (c'est à dire les généraux de l'État-major) attendent que vous marchiez sur Picquart." je répondis que ça m'était égal, et que puisqu'il le désirait, j'allais me battre avec lui.
J'allai trouver mon camarade Feuillant (Xavier Feuillant, 12, avenue Bugeaud) qui pourrait témoigner de ce que je vais dire. Feuillant me dit : "il me faut un officier supérieur comme second témoin." Je m'adressai à un officier d'État-major, on me fit dire (toujours du ministère de la Guerre, plus haut que les autres) qu'on ne voulait pas d'un officier d'État-major, et qu'il fallait que je prenne un officier de troupe. J'objectai que je n'avais pas de camarade à Paris à qui demander de m'assister dans une rencontre aussi grave."


Du duel

Xavier Feuillant, on l'aura compris, s'est donc fait un nom dans le monde du Duel ; il semble un témoin très recherché, et on prend en compte sa docte parole dans les tentatives d'établissement de traités de duels, sommes de jurisprudences recueillies au fil du temps - et de l'épée [38] :

"Lettre adressée au Duc Féry d'Esclands par M. Xavier Feuillant.
Mon cher Duc,
La plus grande preuve d'estime qu'un homme puisse donner à un autre homme est celle de lui demander de lui servir de témoin dans un duel, puisque, par ce fait, il remet son honneur entre ses mains. Quel est le devoir du témoin qui accepte une mission aussi grave, dont lui seul doit supporter toutes les responsabilités présentes et à venir? 
1° D'abord, il doit examiner avec son client les causes qui ont provoqué la constitution de témoins, lui faire déclarer que tout ce qui sera réglé ou décidé est accepté par lui d'avance, et ce, pour le bien de son honneur. 
2° Avec les témoins de la partie adverse, il doit tout tenter pour éviter rencontre quand c'est matériellement possible, en sauvegardant l'amour-propre des deux parties. A mon avis, on témoin doit éviter toute atteinte à la dignité de l'adversaire, du moment qu'il le juge digne de croiser le fer avec son client. 
3° Si, malgré les efforts des témoins, un accord pacifique ne peut être obtenu, il ne reste plus qu'a régler les conditions du combat. La cause étant grave, le combat doit entraîner mort d'homme, ou, au moins, blessure grave. 
Le duel au pistolet ne doit jamais se terminer après un échange de balles sans résultat, mais se continuer soit au pistolet, soit a une antre arme choisie à l'avance. Il ne doit cesser que devant le résultat d'un des deux faits cités plus haut (art. 3). 
Le duel doit être tenu secret. En dehors des témoins et des chirurgiens, personne n'y doit assister. Régler le duel à l'épée, au sabre, an pistolet, de telle façon qu'il soit toujours très grave. 
Vous arriverez ainsi, mon cher Duc, si ce n'est à le supprimer complètement, — comme tel est, je le sais, votre ardent désir, — du moins à le rendre bien moins fréquent.
Pas de piqûre d'épée à la main, pas d'échange de balles sans résultat pour ensuite déclarer le combat clos. Je suis opposé à cette nouvelle méthode. 
Voilà, cher Duc et. ami, ma modeste opinion sur les questions que vous me faites l'honneur de me poser.
Veuillez me croire votre très dévoué 
X. FEUILLANT
11 juin 1900." 


La fin de l'histoire

Xavier Feuillant décèdera le 10 Juin 1914 à Paris.

Le Figaro annoncera son décès [34]:
DEUIL
C'est demain, à deux heures et demie, qu'auront lieu, à l'église Saint-Honoré d'Eylau, les obsèques de M.Xavier Feuillant, ancien officier de cavalerie, chevalier de la Légion d'honneur, décoré de la médaille militaire, décédé à l'âge de soixante et onze ans.
Frère de la marquise de Contades et de la marquise de Miramon, il laisse de son mariage avec la fille du comte Stanislas Potocki un fils, lieutenant au 9e dragons, et une fille, Mlle Geneviève Feuillant.
Très attaché à l'Empire, il fut un des fidèles de Chislehurst, et durant le boulangisme, il se montra un partisan ardent de cette cause.
L'inhumation se fera au cimetière du Père-Lachaise.

Le journaliste du Gaulois (certainement l'ami Jollivet) proposera lui un article assez irrévérencieux (et dont on notera les quelques inexactitudes) - article qui lui aurait probablement valu une nouvelle rencontre au petit matin avec l'intéressé...[39]
"UNE PHYSIONOMIE PARISIENNE.
M.Xavier Feuillant.
Une des physionomies les plus curieuses du Paris d'autrefois vient de disparaître. On nous annonce que M.Xavier Feuillant est mort hier, à la suite d'une attaque d'urémie qui avait miné depuis quelques temps sa constitution d'homme de petite taille mais robuste comme l'acier. 
Fils d'un Parisien élégant de la Cour de Charles X, qui à ses moments perdus s'occupait d'affaires fructueuses et utiles, -les omnibus se sont appelés de son nom "Feuillandines" sous la Restauration, - Xavier Feuillant entre dans la vie avec une cuiller d'argent dans la bouche, selon le dicton anglais. Très bien de sa personne, admis aisément comme camarade par les plus brillants des "gandins" parisiens, de par ses relations de famille et plus tard par le mariage de ses deux charmantes sœurs, la marquise de Miramon et la marquise de Contades, Xavier Feuillant n'eut pas une jeunesse de tout repos. 
Surtout pour ses adversaire, sur un terrain de duel. Pas plus que pour lui-même, du reste. Dans une de ses rencontres avec un Mexicain du nom de Quevado, sa fougue immodérée de tireur inexpérimenté piquant devant lui, lui valut - fait inouï, croyons-nous, dans l'histoire des duels, -sept coups d'épée dans la figure. 
Heureusement, cette combativité s'exerça sur d'autres champs clos que l'île de la Grande-Jatte ou celle de la Grenouillère. Un beau matin, Xavier Feuillant dit adieu à tous les Grands Seize, à tous les Grands Six des restaurants à la mode, à tous les tours du Lac et à tous les boudoirs de comédiennes. - Je m'engage, dit-il à ses camarades, aux chasseurs d'Afrique, et je reviendrai mis à l'ordre du jour de l'armée. 
Il tint parole. Et s'il est vrai de dire que ses galons une fois rendus, il tint surtout garnison dans le Paris du plaisir, 1870 le retrouva à son poste de bon Français. Engagé au 9e Chasseurs à cheval dès le début de la campagne, il ne voulut pas se laisser comprendre dans la capitulation, s'évade, passe à l'armée du Nord, où il est vite fait de franchir tous les grades inférieurs. Toujours le premier au feu, à Bapaume il reçut, comme il disait pittoresquement, dans le ventre de son cheval un obus qui le désarçonna : 
- La seule fois que je suis tombé depuis le collège ! ajoutait-il avec une pointe d'orgueil que justifiait sa renommée de cavalier hors de pair. 
Cette chute, qui le contusionna fortement, lui mérita la croix. Il était capitaine. Comme simple soldat à Metz, il avait gagné la médaille militaire. Il aimait à porter les rubans de ces insignes mariés l'un à l'autre à sa boutonnière, comme faisait Napoléon III. 
Napoléon III ! Feuillant, courtisan un peu affairé du malheur, ne cesse après 1871 de passer la Manche dès que ce souverain fut en Angleterre pour aiguiller l'Empereur déjà très affaibli à monter à cheval pour reconquérir son empire. L'Empereur mort, il renouvelle ces incitations pressantes auprès du Prince Impérial ; plus tard, auprès de Boulanger, retiré à Jersey, avec cette réserve que ce n'était plus d'un cheval qu'il s'agissait mais d'une péniche sur laquelle Feuillant se flattait de ramener le général sur les rives de la Seine. 
Pure folie, direz-vous. Peut-être ; mais la marotte des fous est souvent un porte-bonheur pour leur entreprise. Bien des gens purent dire le jour d'émeute où Feuillant se dirigea vers l'Elysée avec une bande de jeunes enthousiastes, que la république n'en a pas mené très large. 
A plus forte raison dans cette nuit historique où l'ancien soldat des chasseurs d'Afrique adjura Boulanger de quitter le cabinet d'un restaurant Durand pour marcher sur ce même Elysée. Des gens comme ceux-là il en faudrait quelques-uns, disent quelquefois les sages.
De son mariage avec la fille d'un comte Potocki, Xavier Feuillant laisse un fils lieutenant au 29e dragons, et une fille, Mlle Geneviève Feuillant.
G.J."

Les obsèques seront suivies par une large assistance [35]:
DEUIL
Hier, en l'église Saint-Honoré d'Eylau, ont été célébrée les obsèques de M.Xavier Feuillant, ancien officier de cavalerie, chevalier de la Légion d'honneur, décoré de la médaille militaire.
La levée du corps a été faite et l'absoute donnée par l'abbé Flynn, second Vicaire de la paroisse. La messe a été dite par l'abbé Litter, vicaire de la paroisse.
Le deuil était conduit par M.N.Feuillant, lieutenant au 19e régiment de dragons, fils du défunt, et le général de Contades-Gizeux, commandant la 2e brigade de cavalerie légère à Lunéville.
Dans l'assistance :
Duc de Noailles, duc de Montmorency, princesse Poniatowska, princesse Louis Murat, prince et princesse Michel Murat, M. et Mlle Arthur Meyer, comte et comtesse de Contades-Gizeux, princesse Malosen Khan, marquis et marquise de Broc, comte et comtesse R. de Fracomtal, général Thomassin, comte de Canclaux, Salih Munir pacha, comte Biadelli, comte de Chazelle, M. Charles de Lesseps, M. C. du Tillet, vicomte de Clairval, M. et Mme Thouvenel, baron et baronne de Flaghac, lieutenant-colonel Monteil, M. Jean Biraud, M. Emile Schmoll, comte Fleury, M. Edmond Heate, général Kirgener de Planta, M. O. de Latouche, Mme Charles Franconi.
MM. Pierre et Henri de Sainte-Marie, lieutenant de Gatines, Gallon et Rupied, délégués par le 1er cuirassiers ; comte et comte de la Salle, baron de Bourdieu, baron P. de Bourgoing, comte et comtesse de Lapeyrouse-Vaucresson, Mme Edmond Dollfik, vicomte Portalès, vicomte et vicomtesse de Boissieu, générale Faverot de Kerbrech, vicomtesse et Mlle de Reiset, baron et baronne Faverot de Kerbrech, M. et Mme H.  Técaré, comte Waleski, comtesse de Vaugirard, M.A. De Bos, Mme de Blargerie, vicomte et vicomtesse de Broisnis, lieutenant Hügel, lieutenant de Saint-Didier, lieutenant Redelsperger, vicomte de Clairval, etc.
Après la cérémonie religieuse, l'inhumation a eu lieu au cimetière du Père-Lachaise.

Près de dix ans plus tard, le décès de Madame Feuillant est à nouveau l'occasion pour Gaston Jollivet de citer quelques anecdotes - encore teintées du mélange d'estime, de jalousie et d'affection dans lequel il semble avoir trempé sa plume [40] :
"XAVIER FEUILLANT
Mme Xavier Feuillant, qui vient de mourir, était la veuve d'un Parisien bien agité. Avec lui la "copie" des reporters n'avait pas le temps de chômer. Il la fatiguait à le suivre. 
Peu d'existence d'oisifs ont été, en effet, aussi occupées. Les provisions des divers collèges de Paris se l'étant, pendant des années, renvoyé les uns aux autres, à partir du moment où il sut lire et écrire, vers dix-huit ans, il ne lui restait plus qu'à s'engager, car il rêvait d'être militaire comme Napoléon. Il prit juste le temps de faire une centaine de mille francs de dettes et fila aux chasseurs d'Afrique. 
Là tout alla bien tant qu'il n'eut qu'à donner des coups de sabre aux Arbis ; mais au bout de trois duels avec les camarades de son peloton, son colonel le jugea indésirable, et, de permutations en permutations, la fin de l'engagement étant arrivée, Feuillant reparut à Paris. 
Il y retrouva ses créanciers. Il faut rendre cette justice à ceux-ci : ils ne le quittèrent jamais, se contentant d'à-comptes espacés. Constance méritoire ! La prison de Clichy, cet épouvantail des prodigues et cette garantie des prêteurs, venait d'être fermée par l'Empereur, qui commençait d'être libéral. 
Joli garçon, bien pris dans sa petite taille, reconnu par la compétence d'un Mackenzie Grieves ou d'un d'Evry pour un des meilleurs cavaliers du Bois, Feuillant eut beaucoup de bonnes fortunes, même dans les milieux où la fortune tout court n'est pas de refus. D'ailleurs divers héritages lui mirent dans les mains plus que les trois bourses d'or de Rolin. Comme il n'avait pas un train de maison à soutenir - il garda toujours une chambre dans l'appartement de sa mère, rue Royale - l'argent de poche put lui filer des doigts inépuisablement. 
En quoi il aura été un second Sagan sans calquer ce prince des élégances, car il tenait à sa personnalité. Une de ses caractéristiques était de ne pas admettre qu'un seul des spectateurs des fauteuils d'orchestre aux Variétés pût regarder et écouter Hortense Schneider dans La Belle Hélène, Barbe Bleue, La Grande-Duchesse sans se tuer à l'acclamer. Assis au second rang, après avoir donné le signal des battements de mains, il se tournait brusquement à gauche, à droite, derrière, pour savoir s'il était suivi. A l'entr'acte il retrouvait les indifférents et parfois les morigénait. Il ramassa ainsi dans les couloirs trois ou quatres duels, et aussi, il faut bien le dire, deux ou trois refus d'aller sur le pré. 
C'est ainsi qu'il dut se contenter d'une rixe à coups de poings avec un mauvais coucheur, résolu qu'il était à ne pas se battre avec un chef de claque. 

Quelques-uns de ses contemporains ont eut autant de bravoure que lui, mais pas nombreux. (Dans la guerre de 1870 il a été un as). Aucun n'eut autant de toupet. Ce qu'il obtint, grâce à ce don de nature, stupéfia tout le monde, à commencer par cet ami qu'il battit en duel dans le grand-duché de Luxembourg. On avait voyagé de nuit et débarqué de grand matin à Metz. Un quart d'heure d'arrêt. Feuillant descend de wagon. Son ami le voit se poster devant le chef de gare (Metz était prussien) et sans le saluer se nomme en ajoutant : 
- Je suis le fils de M.Talabot. 
Talabot était alors (je ne sais même pas s'il n'était pas mort) directeur du P.L.M. qui n'avait rien à voir avec Metz, ville de l'Est. Le chef de gare, interloqué, laissa entendre en français correct que le nom de Talabot ne lui disait rien. Feuillant fronça le sourcil, et d'une voix coupante : - Par ordre du médecin, je dois prendre un tub tous les matins. J'ai le mien dans le wagon aux bagages, faites-le descendre. 
Que se passa-t-il dans le cerveau du fonctionnaire teuton ? Ce bout d'homme imposant lui fit-il l'impression brutale, fascinante, qu'il avait derrière lui toute l'armée française ? Toujours est-il que Feuillant prit son tub dans la salle des premières, ouverte pour lui seul. Il n'en sortit que dûment essuyé et frictionné par un homme d'équipe, pour surveiller avec l'œil du commandement la rentrée de son tub dans le wagon à bagages. 
Cette facilité de fascination n'était pas moindre à Paris, sur les populots. On sait qu'il précéda Louise Michel dans une émeute où il ne savait pas exactement s'il avait à forcer des boutiques de boulanger ou à les protéger, quand une escouade de sergents de ville vint la disperser. Il s'en fallut d'un rien qu'il ne la jetât sur l'Elysée, lui en tête. 
Un charmant garçon, Xavier Feuillant. Il a laissé un fils qui a hérité de ses qualités de bravoure et s'est distingué comme capitaine dans la grande guerre."
Gaston Jollivet.


Références :

Dossier SHD No.5YE24133
[
1] "La Garde Impériale de Napoléon III", document No.753, p.378 ; par Louis Delpérier, Bertrand Malvaux et André Jouanneau, - Editions du Canonnier
[
2] Base Léonore
[
3] "Souvenirs de la vie de plaisir sous le Second Empire", par Gaston Jollivet (Editions Jules Tallandier, 1927) pp.172-173
[
4] "Journal d'un interprète en Chine", par le Comte d'Hérisson (Paul Ollendorff éditeur, 1886), pp.5-11 
[
5] The Times, Samedi 20 Octobre 1860
[
6] "Mes Souvenirs", par le Général du Barail (Plon, 1898), Tome Troisième, p.369
[
7] "Le demi-monde sous le Second Empire", par Zed (Albert de Maugny), pp.177-182
[
8] "The Life and Times of Prosper Mérimée" par Sylvia Lyon (1948), p.290
[
9] Gaston Jollivet, Op. cit., pp.172-174
[
10] "La vie et le monde du boulevard (1830-1879)" par Paul d'Ariste (1930), p.218
[11] Gaston Jollivet, Op. cit., pp.196-198
[
12] "Quatre héros d'Alphonse Daudet- Sapho, Flamant, Alice Doré, Tartarin. Suivi de 14 essais" par Auriant, p86
[
13] Gaston Jollivet, Op. cit., pp.208-210
[
14] Le Gaulois,  28 Mars 1903
[
15] "Français et Allemands - Histoire anecdotique de la guerre de 1870-1871" par George Hardoin (dit Dick de Lonlay), p 841
[
16] "Revue des Deux Mondes" tome cent quatrième, 1873 - "La guerre de France 1870 1871", par Charles de Mazade, p.18
[
17] "La défense nationale dans le Nord en 1870-1871 - recueil méthodique de documents", par Camille Baruch Lévi, p.695 et 677
[
17bis] "Les armées de Province", Tome II, par Léonce Rousset, pp.359-360 
[
18] "Historique du 7e régiment de dragons" de René de Cossé-Brissac ; "Cadres du 7e Dragons à l'Armée du Nord - Janvier-Mars 1871", p.110
[
19] Le Temps, samedi 11 Août 1883
[
20] "Journal d'un officier d'ordonnance - Juillet 1870-Février 1871" par le Comte d'Hérisson, p.342
[
21] René de Cossé-Brissac, Op. cit.,  p.112
[
22] Le Temps, samedi 11 Août 1883
[
23] Le Figaro, vendredi 10 Août 1883
[
24] "Mes Angoisses et nos Luttes 1871-1873", par Juliette Adam, pp.297-299
[
25] "Mémoires du Comte de Viel-Castel sur le règne de Napoléon III (1851-1864)", Tome IV, pp.38-39
[
26] "Le Prince Impérial : souvenirs et documents (1856-1879)", par Augustin Filon
[
27] "Le Prince Impérial - Napoléon IV", par Maurice Irisson d'Hérisson, p 349
[
28] Le Figaro, vendredi 10 Août 1883
[
29] The Times, vendredi 31 août 1883
[
30] "Les Coulisses du Boulangisme", par "X... du Figaro", pp.17-18
[
31] "Du boulangisme à la révolution dreyfusienne", de Adrien Dansette, p 287
[
32] "Histoire de l'Affaire Dreyfus", par Joseph Reinach, Tome III, page 462
[
33] "Le procès Dreyfus, devant le Conseil de Guerre de Rennes (7 août-9 septembre 1899)", p. 132.
[
34] Le Figaro, vendredi 12 Juin 1914
[
35] Le Figaro, vendredi 14 Juin 1914
[
36] "Nouveau Journal d'un officier d'ordonnance - La Commune" par le Comte d'Hérisson, pp.75-78.
[
37] "Mémoires d'un décavé" par Léon Duchemin, pp.97-98.
[
38] "Conseils pour les duels à l'épée, au fleuret, au sabre et au pistolet" par George Bibescu, Féry d'Esclands, pp.160-161.
[
39] Le Gaulois, jeudi 11 Juin 1914
[
40] Le Gaulois, jeudi 26 Juillet 1923