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Carte de Visite atelier
L.Krier à Metz |
Xavier Feuillant,
Maréchal des Logis aux Chasseurs de la Garde Impériale durant le
siège de Metz (1870) |
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Cette magnifique photographie nous
ramène à un moment terrible de l'Histoire de France, celui de la
Capitulation de Metz durant la Guerre de 1870.
Comme souvent pour les troupes en campagne, quelques libertés sont
prises ici avec le caractère réglementaire de l'uniforme pour faire
place aux nécessités pratiques de la campagne - ce qui on le voit ici
n'empêche pas une élégance certaine, comme il convient à un cavalier
de la Garde Impériale !
Le régiment des Chasseurs à Cheval de la Garde Impériale est
constitué en 1856 avec des éléments issus des régiments présents en
Crimée, le 4e Chasseurs d'Afrique (qui est alors dissous), les 1er et
4e Hussards.
Le Régiment des Chasseurs à Cheval
de la Garde forme avec celui des Guides la Brigade de Cavalerie Légère
de la Garde Impériale.
En 1870 ils feront campagne avec l'Armée du Rhin sous le commandement
du Général Joseph Halna du Frétay, au sein de la Division de la Garde
Impériale, commandée par le Général Bourbaki.
Il n'entre pas dans mon propos de
retracer ici les revers de l'Armée du Rhin - contentons nous de
préciser qu'après une série de revers, elle doit se replier sous
Metz, dont l'encerclement est réalisé par les Allemands le 20 Août
1870.
Le Maréchal Bazaine, Commandant en Chef de l'Armée du Rhin depuis le
12 Août, capitulera le 27 Octobre.
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L'identification du sujet de cette
photographie procède d'un rare coup de
chance : un autre cliché, pris dans la même séance de pose, est
reproduit dans l'excellent ouvrage de Louis Delpérier sur la Garde
Impériale [1]
- cette carte de visite est dédicacée et porte la signature du "Maréchal
des Logis Xavier Feuillant".
Ce fil permet de démêler une partie de son
histoire, et nous allons voir qu'elle se révèle extraordinaire. |
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La
Jeunesse - l'appel
des Armes
Charles Etienne Xavier Feuillant est né le 15
Juillet 1842 à Paris [2].
Il est le fils de Vincent-Xavier Feuillant (gérant de l'entreprise
générale des omnibus) et de Marie Chauveau Dupuis.
Gaston Jollivet nous retrace sa jeunesse [3]:
(...) fils d'un riche bourgeois
de Paris, qui, après avoir marié ses deux filles dans la meilleure
noblesse, était mort trop tôt pour surveiller l'instruction et les
premiers pas de son fils dans la vie. Ayant, sous le toit familial, de
bonne heure lassé la patience de cinq ou six précepteurs, fourré
ensuite dans des pensions où il apprit d'après ce qu'on dit ses
meilleurs camarades, tout juste à lire l'imprimé, une fois jeté sur
le boulevard, et au bout d'un an de fête, il dut s'engager aux
chasseurs d'Afrique, où il atteignit les galons de maréchal des logis,
car il ne boudait pas devant un arbi. (...)
Le
Comte d'Hérisson, que nous retrouverons tout au long de cette notice,
précise les débuts du jeune Feuillant, qui s'engage en fait tout
d'abord comme Cavalier au 6e Hussards, en 1859 [4]:
"(...) On comprendra donc
qu'un garçon de dix-huit ans qui n'avait aucune vocation prophétique,
s'en voulût d'être désœuvré au milieu de tant d'activité, d'être
inutile au milieu de tant d'enthousiasme. Mes amis de Florence partaient
les uns après les autres. Mes compagnons de plaisir, s'enveloppant tout
à coup d'une gravité suprême, me déclaraient que c'était fini de
rire et de s'amuser, et que l'heure du sacrifice avait sonné. Je les
aurais bien suivis. J'étais persuadé que le chapeau rond avec une
queue de coq conviendrait tout à fait à ma physionomie. Mais il me
parut plus simple, plus sage, puisque je n'avais pas encore tiré au
sort, d'aller m'engager en France.
Je choisis donc un régiment de cavalerie désigné pour faire partie de
l'armée d'Italie, et quittant Florence, je me dirigeai sur Tours, où
j'eus bientôt l'honneur de faire partie, en qualité de cavalier de
deuxième classe, du 6e régiment de hussards. Je me souviens qu'en
arrivant au quartier, le premier camarade à qui je parlai et qui venait
de s'engager le même jour que moi, était un jeune cavalier que j'avais
vu bien souvent caracoler autour du lac du bois de Boulogne. Il
s'appelait Xavier Feuillant, et comme il n'avait que seize ans, il lui
avait fallu obtenir une dispense d'âge.
Je mentirais en disant que la vie de caserne et la garde d'écurie ont
pour moi des séductions infinies. Mais la grandeur de la mission que je
m'imaginais remplir me faisait oublier les petites misères du métier,
et en prodiguant à mon cheval des soins de propreté intimes, en
ramassant le crottin dans mes deux mains, comme une chose fort
précieuse, j'étais persuadé que je concourais à la réalisation du
plan du grand cardinal, et qu'après Richelieu, je travaillais à
l'abaissement de la maison d'Autriche. Dans la vie, il faut croire. Tout
est là. seulement je brûlais du désir d'abaisser cette gredine de
maison d'Autriche autrement qu'en mettant de la paille pour la bordure
des litières, et je trouvais le temps un peu long. Montant proprement
à cheval et n'étant étranger à aucun genre d'exercice, j'avais
avalé mes classes en trois temps et quatre mouvements, et je me
morfondais dans l'oisiveté laborieuse du quartier. Ce fut donc avec
ivresse que je reçus l'ordre de faire mon paquetage. On venait de
choisir, dans le dépôt du 6e hussards, cinquante hommes qui, le
surlendemain matin, devaient se mettre en route pour rejoindre le
régiment, lequel faisait partie du sixième corps.
Nous passâmes quarante-huit heures avec des gaîtés d'oiseaux, sans
que notre joie égoïste fût même troublée par les mines allongées
des camarades qui enrageaient de rester au quartier. Puis, le matin du
départ, quand nous eûmes sellé et bridé, comme nous allions monter
à cheval, un papier bleu arriva au commandant. le départ était
contremandé. Nous dessellâmes et débridâmes en maugréant. L'armée
française avait vaincu trop vite. On parlait déjà d'armistice, de
traité de paix. D'ailleurs notre régiment, appartenant au sixième
corps, n'avait pas donné. Il était resté dans les Apennins, en
observation, avec toutes les troupes réunies sous les ordres du Prince
Napoléon, qui ne prit, comme on sait, aucune part active aux affaires
militaires. On ne manqua pas de dire un peu partout, et même dans
l'armée, que si le sixième corps avait observé avec tant de patience
l'ennemi du haut des Apennins, c'était à cause de la prudence bien
connue de son chef.
(...)
J'avoue, d'ailleurs, que la question des mérites militaires de mon
commandant en chef s'effaçait pour moi devant les ennuis de ma
situation. Je ne pouvais pas faire comme lui, et l'abandonner, cette
situation du moment qu'elle avait cessé de me plaire. J'en avais pour
sept ans. Les jours succédaient aux jours, et, au lieu d'abaisser
définitivement la maison d'Autriche comme je l'avais espéré, je
pataugeais dans les écuries, des sabots aux pieds, une brosse de
chiendent à la main gauche, une musette à la main droite, sans autre
distraction que de faire exécuter à ces deux objets peu récréatifs
un chassé-croisé d'une main dans l'autre. C'était dur !
Feuillant, qui partageait mon infortune, n'y tint pas. Il demanda à
passer en Algérie, aux chasseurs d'Afrique, et eut la chance de faire,
avec son nouveau régiment, l'expédition de Syrie. J'attendais mes
galons de brigadier pour l'imiter. Il y avait sept mois déjà que
j'étais au dépôt, et je devais être nommé au rapport du lendemain,
lorsque le vaguemestre me remit une lettre qui me plongea dans un
profond étonnement. (...)"
Le dossier militaire de Xavier
Feuillant précise qu'il est Engagé Volontaire le 3 Août 1859 ;
il y est spécifié qu'il rejoint alors le 1er Hussards, mais il semble
qu'il s'agisse ici d'une erreur : outre le témoignage du Comte
d'Hérisson ci-dessus, le dossier de Xavier Feuillant contient
également un courrier de celui-ci (du 7 Mai 1895), demandant au
Ministre de la Guerre "une expédition de l'Etat de (s)es
Services" , dans laquelle
il rappelle qu'il fut "Engagé (...) avec une dispense
d'âge de S.M. l'Empereur (6eme Rent. de Hussards)".
Il est promu Brigadier le 12 Décembre
1859, et transféré au 1er Chasseurs d'Afrique le 26 du même
mois.
C'est donc en Afrique qu'il va rejoindre son nouveau régiment.
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L'expédition
de Syrie
L'expédition Française en Syrie faisait suite
aux violences qui embrasèrent la région au printemps 1860, violences
revêtant un caractère à la fois ethnique et religieux, qui furent
marquées par les massacres de chrétiens maronites par les Druzes ; la
passivité de l'autorité Ottomane (dont la Syrie dépendait) amena
Napoléon III a engager une expédition afin de rétablir la paix. Son
but officiel est d'aider le Sultan à rétablir l'ordre sur une partie
de son territoire.
Le corps expéditionnaire devait être une
force internationale - les réticences des différents pays Européens
(et notamment l'Angleterre) en fera un corps Français, qui partira
début Août 1860, pour partie de Toulon et Marseille, et pour partie
d'Algérie, sous le commandement du Général de Beaufort d'Hautpoul.
Feuillant fait partie de l'Escadron du 1er
Chasseurs d'Afrique détaché en Syrie - c'est le 1er Escadron qui
embarque le 11 Septembre 1860 à Alger.
Après une escale à Malte, il débarque à Beyrouth le 23 Septembre. Il
traversera le Liban pour rejoindre le corps d'expédition à Djebel
Djennis.
Le correspondant du Times décrit la Cavalerie
du Corps Expéditionnaire [5]
:
"(...) FRENCH CAMP ON THE LITANY, NEAR JIB JENIN,
Sept. 29.
(...) The right flank, which is thrown back to form one side of the
square, is occupied by cavalry to the number of 500, two squadrons of
Chasseurs d'Afrique, one squadron of Hussars, one squadron of Spahis,
who arrived during the evening from Kubb Elyas, having left Beyrout the
previous day and followed the Damascus road. (...)
Oct.1.
Sunday and to-day (Monday) we have passed in the same camp. Yesterday
General de Beaufort rode out with his Staff and a few Bashi-Bazouks from
the Turkish force stationed at Jib Jenin, in addition to his escort of
Chasseurs d'Afrique and spahis, to have an interview with the Sultan's
representative in Syria at Sughbin.
(...)
The cavalry is composed of a squadron of the 1st Hussars (145 men, 135
horses, and 6 officers), a squadron of the 1st Chasseurs d'Afrique (161
men, 140 horses, and 9 officers), a squadron of the 3d Chasseurs
d'Afrique (143 men, 129 horses, and 8 officers), and a squadron of the
2nd Spahis (137 men, 109 horses, and 8 officers). This gives a total of
513 sabres and 32 officers. The standard for a squadron, which is the
French cavalry unit, instead of the troop, as with us, is 150 sabres.
A squadron is commanded by first and second captains, two lieutenants,
and four sub-lieutenants, giving eight officers to 150 men. The regiment,
which consists of four squadrons, besides the depôt, has a colonel,
lieutenant-colonel, and two Chefs d'Escadron, or majors. The cavalry out
there is commanded by Lieutenant-Colonel Du Preuil, who headed the
Chasseurs d'Afrique in their charge upon the Russian batteries to
disengage the Light Brigade at Balaklava. At Solferino, where he gained
his epaulets of lieutenant-colonel, he charged and broke an Austrian
square, and assisted in the capture of three pieces of cannon. In his
force is a squadron of Spahis, as fine irregular cavalry as any. They
are, in the first place, excellent horsemen, armed with a musket which
they use as easily and with as deadly aim as infantry, and a sword which
they carry between the left thigh and the saddle. The latter is a
curiosity, with a back and front, rising some 9 or 12 inches, so that it
is next to impossible to fall off. The spurs are like pike heads, nearly
six inches long. When galloping over the plain, with their red burnous
floating from their shoulders and brandishing their arms, the Spahis
look the very beu ideal of irregular cavalry. The me, half the
non-commissioned officers, and half the lieutenants and sub-lieutenants
are Arabs. (...)"
Nos chasseurs passeront un hiver très
rude dans des montagnes couvertes de neige, s'avançant jusque dans la
vallée du Haut Jourdain à Hasbaya, puis regagneront Beyrouth. Pas de faits d'armes à relever, ce qui
semble heureux au vu des objectifs humanitaires de l'expédition, mais a
du bien chagriner nos hommes en quête de gloire !
Le Général du Barrail, alors Colonel
du 3e Chasseurs d'Afrique, résumera ainsi l'expédition
[6]
:
"En revenant à
Constantine, je mobilisai un de mes escadrons qui pris part à
l'expédition de Syrie et qui devait me revenir, moins d'une année
après, sans avoir tiré le sabre, puisque l'expédition, commandée par
le général de Beaufort d'Hautpoul, l'ancien aide de camp du duc
d'Aumale, fut pacifique. En guise de butin, les officiers rapportèrent
des chapelets qu'ils avaient fait bénir à Jérusalem."
L'escadron du 1er Chasseurs d'Afrique
embarquera début juin 1861 à Beyrouth, débarquant à Alger le 16 de
ce mois.
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Feuillant rentrera dans son régiment en Afrique le 17
Juin 1861.
Il y passe Maréchal-des-Logis le 28 Septembre 1862.
Rentré d'Afrique le 12 Avril 1864, il est transféré dans ce grade au 1er
Lanciers le 25 Juillet - il sera exonéré le 5 Mars 1865 et rendu à la vie
civile - avec un Certificat de Bonne Conduite - ce qui laisse rêveur
quant on connaît le personnage...
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La
Grande Duchesse de Gérolstein
On retrouve donc Xavier Feuillant à Paris dans les
froufrous de la Vie Parisienne. Il nous est parvenu des échos de sa
liaison tapageuse liaison avec l'actrice Hortense Schneider, dont voici le
portrait [7]:
"Le reine de l'opérette, la diva de prédilection
d'Offenbach, qui créa la plus grande partie des rôles marquants de ses
oeuvres et pour qui ces rôles étaient créés, qui se les appropria, qui
les incarna, qui leur donna une saveur unique, un relief énorme, un chic
inouï et fit les trois quarts de leur succès. Le type le plus complet,
le plus réussi, le plus captivant de la chanteuse et de l'actrice dans
cette manière spéciale de la musique bouffe, qui demande des dons à
part et qui se confond avec aucune autre.
Elle avait tout : la beauté, la grâce, le charme, l'entrain,
l'originalité, le goût, le geste et jusqu'à des intonations à elle,
des petites mines à là fois prodigieusement canailles et éminemment
distinguées, dont elle possédait le secret ; je ne sais quelle
sensualité de belle compagnie qui s'échappait de tout son être et qui
vous ensorcelait.
(...)
Toutefois, ce ne fut que dans la Grande-Duchesse de Gérolstein qu'elle
déploya tous ses moyens, qu'elle atteignit au faite de son talent et de
son inexprimable séduction. La pelisse sur l'épaule, le talpack de
hussard sur l'oreille et la cravache à la main, elle était
délicieusement suggestive et entraînante. Rien ne peut rendre l'effet
magnétique qu'elle produisait sur la salle.
Et, lorsque, avec un brio plein de crânerie et de sous-entendus galants,
elle chantait :
J'aime les militaires,
J'aime...
C'était du fanatisme, de l'ivresse, du délire.
Le plus piquant est qu'elle passait à ce moment-là pour les aimer
réellement, les militaires (...).
Ce qui est certain c'est qu'elle avait à ses pieds la fleur des cavaliers
parisiens. Jeunes seigneurs, hauts et puissants personnages, boyards
opulents, financiers mondains, tous se disputaient ses bonnes grâces.
En 1867, au cours de l'Exposition universelle qui nous valut la visite de
tant de souverains étrangers, on disait qu'un empereur, entouré, à bon
droit, d'un immense prestige, avait télégraphié de sa capitale qu'on
eut à lui retenir, pour le soir même de son arrivée à Paris, une loge
à la Grande-Duchesse et un souper intime avec la princesse de Gérolstein.
On disait...bien d'autres choses encore. On colportait, à son sujet, des
si fantastiques anecdotes que les bonnes petites camarades, jalouses de
son auréole, en avaient fortement conçu de l'humeur :
Mais c'est le passage des Princes que cette femme ! s'était écriée la
plus venimeuse d'entre elles. (...)"
Xavier Feuillant figure dignement dans
ces "fantastiques anecdotes" [8]:
"Sovereigns, princelings, and statesmen came to
Paris, ostensibly for the Exhibition, but principally to see Hortense
Schnaider in Offenbach's The Grand Duchess of Gerolstein. Edward, Prince
of Wales came in May ; he was followed by Czar Alexander II, who ordered
tickets for the operetta the moment he stepped from the train.Then came
Chancellor Bismarck with his protege the King of Prussia ; the Sultan of
Turkey ; and, most picturesque of all, Ismaïl Pasha, the Viceroy of Egypt.
Even Bismarck's white and silver dress uniform looked drab as Hortense
Schneider seemed to sing night after night for only the Viceroy in the
left-hand stage box of theVarietes. One evening her accredited lover
Xavier Feuillant took his revenge. Jealous, ardent, and a wit in action,
Feuillant appeared in the right-hand stage box wearing a fez and made up
to look exactly like Ismaïl Pasha. For once Hortense nearly lost her
poise.
Soon Feuillant displayed his anger in even more potent fashion. Living in
an apartment across the street from the adulated Schneider's house and
fully aware of her international popularity, Feuillant made a grandiose
gesture. He illuminated the front of his apartment and had the facade
draped inhte flags of her illustrious callers' countries one by one."
Gaston Jollivet nous parle de plus près
de cette liaison [9]:
"Monsieur, amant en second, amant de cœur, j'ai
connu une personnalité originale qui fut les trois : Xavier Feuillant
(...). Je le retrouvai débarrassé de l'uniforme. Il avait hérité et
fut alors très chic, étonnant même de vieux "lions" et dandys
par sa maîtrise à cheval au Bois ou dans un steeple. Et aussi par le
choix de ses maîtresses. Je dis "choix" à dessein, car il
était de ceux qui peuvent jeter le mouchoir où ils veulent, certain
qu'il y aurait des crêpages de chignons entre actrices ou cocottes
concurrentes pour le ramasser. Joli garçon, bien pris dans sa petite
taille (NOTA : entre 1m66 et 1m68 selon son dossier militaire), il possédait en outre la faculté précieuse avec des femmes
oisives et sans cervelle, de s'occuper d'elles depuis le matin jusqu'à la
nuit très prolongée. Il ne leur faisait jamais la lecture, même dans
l'imprimé, mais, toujours aux petits soins pour elles, il leur apportait
le tabouret le mieux rembourré, leur entassait des coussins derrière le
dos avec une importunité qui les flattait.
Un soir (je saute quelques années),je venais de bâcler pour Hortense
Schneider, au cours d'un souper d'amis avec elle chez Bignon, un quatrain
où ma galanterie se gardait bien de la confondre avec sa camarade des
Variétés Silly, sa bête noire. Feuillant se pâme de confiance, fait
venir le chasseur du restaurant et commande :
- Allez m'acheter un mètre de satin blanc tout ce qu'il y a de mieux.
C'est pour écrire des vers dessus... Filez vite ! Et prenez la voiture de
Mme Schneider.
Retour du chasseur. Pour être plus sûr de réveiller un passementier il
s'est adjoint le collègue du Café Anglais et de la Maison d'Or. Tant pis
pour ces messieurs et ces dames qui les ont sonnés dans ces trois
restaurants. M.Feuillant avant tout. Ils ont le satin. Feuillant les
couvre d'or, s'en va dans un coin déplier l'étoffe, l'étale, la lisse
dévotement et, au moment où il revient pour me tendre un porte-mine en
or, la grande duchesse de Gérolstein qui l'a regardé faire, eut le temps
de nous dire : "A-t-il des attentions, cet animal-là !"
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"Le
terrible duelliste"
A cette époque, Xavier Feuillant fait également
parler de lui pour ses affaires d'honneur [10]:
"Ce tour du lac qu'il était de bon ton de faire
avant le dîner, chaque après-midi de beau temps, était, sous le Second
Empire, d'une élégance incomparable.
Des cavaliers extrêmement soignés - monter l'après-midi au Bois était
chose admise alors - caracolaient sur de superbes chevaux. Parmi eux on se
montrait le Comte d'Evry, Saint-Germain, Vonsittart, Xavier Feuillant, le
terrible duelliste. (...)".
A nouveau c'est Gaston Jollivet qui nous relate
les détails de quelque affaire [11]:
"Pour en finir avec ma carrière combative, par un
beau soir d'été je me trouvais devant Xavier Feuillant au bal des
Canotiers de Bougival.
Fatalement Feuillant devait se prendre le bec avec un autre petit coq
aussi prompt que lui à se crêter, Léon Chapron, mon "copain"
de collège. A la suite d'une querelle avec Feuillant, qui très talon
rouge avait répondu par la voix de ses témoins qu'on ne se battait pas
en duel avec le fils d'un marchand de mouchoirs, même de la rue de la
Paix. Dès que je sus ce propos, j'écumai. De quel droit, simple
bourgeois après tout, si chic qu'il pût être à cheval, Feuillant
établissait-il aussi arrogamment une hiérarchie dans le Tiers État ?
Or un soir, au bal des Canotiers, - était-ce simplement la faute d'un
vulgaire reglingard, - d'une voix qui couvrait les crincrins de
l'orchestre, debout dans un groupe, j'éreintai Feuillant copieusement. Je
me retourne, il est devant moi. Très calme, il me jette:
- Vous aurez de mes nouvelles, Monsieur !
Le lendemain, dans une plain que longe un coin de forêt de Compiègne,
les témoins nous placent. Je relève le collet de la redingote classique
et j'attends le pistolet qui va m'être mis dans la main.
Maintenant veuillez me suivre avec quelque attention dans les détails
techniques que je vous ai épargnés sur mes autres rencontres, et qui
peuvent être médités, au cas, qui n'a malheureusement rien
d'invraisemblable, où de nouvelles rencontres au pistolet braveraient les
ois contre le duel en général.
Nous sommes à la distance relativement bénigne de trente pas.
Conformément à la formule du commandement : "Êtes-vous
prêts?" le témoin qui dirigeait le combat, sur la réponse
"Oui", prononce distinctement, mais assez vite, seconde par
seconde, une, deux, trois. Passé trois, on n'avait plus le droit de faire
usage de son arme.
Ayant tiré tout de suite après un, j'avais le temps de voir que je
n'étais pas touché, de ramener le pistolet à mon visage pour le
protéger, les minutes semblent des siècles.
Et je compte.
Or c'est bien près d'une demi-minute que Feuillant m'ajusta. En tous cas
il tira après le coup de trois, qui me jeta sur le sol, les quatre fers
en l'air.
Au premier moment je crus à un traîtrise et refusai de prendre la main
qui m'était tendue, en protestant : "Vous avez tiré après le
commandement." La vérité, établie par les témoins, est qu'il
n'avait pas entendu le commandement, le bruit de détonation produit par
ma balle ayant couvert la voix du directeur du combat.
Conclusion : Absurde déjà au visé, le duel au pistolet l'est dix fois
plus au commandement.
Par la suite, Feuillant ne me garda pas rancune de m'avoir à moitié tué
en dehors des règles. Pendant les cinq mois que je fus cloué au lit, il
envoya prendre de mes nouvelles tous les deux jours. Quand je pus me
lever, il me fit parvenir l'adresse d'un fabricant de béquilles hors
ligne à l'entendre et son attendrissement quand il parlait de moi finit
par me gagner. Deux ans après je lui servais de témoin, comme je vous le
conterai tout à l'heure."
Cet épisode, d'après Auriant, se déroulait le
"11 ou le 12 août 1868" [12].
Mais revenons à Jollivet, témoin de Feuillant [13]
:
"A la même époque, Feuillant vint me trouver un
matin, très ému, d'avoir à me demander de l'assister, encouragé comme
Cadoudal, tout à l'heure, par la certitude à ses yeux que son affaire
était plus que limpide. Ayant appris qu'un Mexicain avait jeté les yeux
sur une femme à qui il voulait du bien, il lui avait crié la veille chez
Bignon : "Vous êtes un misérable."
Et, comme il avait appris un peu de géographie avant de faire cet éclat
:
"Vous prendrez, avait-il hurlé, le train du Havre ce soir pour la
Vera-Cruz !"
C'était le bannissement.
- Je vous en supplie, ajouta Feuillant avec des trémolos attendis dans la
voix, soyez mon témoin ou je croirai que vous m'en voulez de Compiègne.
C'était la carte forcée pour le chevaleresque d'Artagnan que je me
flattais d'être.
A six heures du matin, par un froid de canard, Alfonso, qui est venu me
prendre dans un landau de louage, et moi, déballons chez notre client,
rue Royale. Nous montons les deux étages, sonnons, carillonnons. Personne
ne vient ouvrir. Alfonso s'indigne, s'échauffe, défonce à moitié la
porte à coups de pieds accompagnés de cris et de jurons à réveiller
toute la rue Royale et le curé de la Madeleine... Enfin des pas d'homme
font craquer le parquet de l'appartement. La porte s'ouvre, Feuillant en
chemise après avoir passé ses deux mains sur ses yeux embroussaillés de
sommeil, nous demande :
- Qu'est-ce que vous f... là ?
Alfonso ravale un juron espagnol, et il y en a dans la langue du Cid ! et
me laisse parler. Je rappelle à Feuillant qu'il a un duel pour ce matin
même et que ce n'est guère correct de faire droguer le Mexicain et ses
amis qui ont l'air très bien.
Feuillant reprend à moitié ses esprits pour expliquer son retard :
- C'est la faute à Édouard (Édouard, c'est son domestique, un nègre)
qui devait me réveiller. Il est des pays chauds. Par ces temps de chien
comme il en fait depuis huit jours, je lui ai permis de prendre mon bois
pour chauffer sa chambre du sixième... Il sera tombé dans le feu.
Alfonso intervient, péremptoire.
- Attends un peu, je vais le secouer dans sa chambre, ton moricaud !
- Ne monte pas le réveiller. Ca le froisserait et je tiens à le garder,
je n'ai jamais eu un valet de chambre si dévoué et si respectueux.
L'éloge d'Édouard se continue en litanies pendant que son maître
s'habille. Tout en grognant, Alfonso aide celui-ci à passer sa pelisse.
Nous voici dans la rue devant le landau. Feuillant s'arrête brusquement
en dévisageant le cocher.
- Qu'est-ce que tu as encore ? bougonne Alfonso.
Feuillant déclare :
- Cet homme est mon ennemi. Je l'ai connu aux chasseurs d'Afrique. Nous
nous sommes flanqué des coups tout le temps, même les jours de sortie.
Je ne monte pas dans sa sale guimbarde.
Alfonso rugit, saute sur les épées enroulées dans la capote du landau,
les dégage de leur fourreau de serge verte, en saisit une, donne l'autre
à Feuillant, et crie :
- En garde !
Cela se gâtait si fort que j'en eus assez de mon rôle effacé. D'un bond
je saute dans le landau, d'où je jette à l'ennemi de Feuillant mon
adresse,16, rue Moncey !
Les deux toqués prêts à ferrailler entendent, lèvent la tête, voient
le fouet levé à ma demande, comprennent. Triple éclat de rire... Les
épées remises dans le fourreau, en route pour La Celle-Saint-Cloud !
Trajet sans incident, à part un léger accrochage d'une voiture de
maraîchers au tournant de la place de l'Étoile, qui fit jeter à
Feuillant un bref : "Cette canaille l'a fait exprès", auquel le
cocher qui avait entendu se borna à opposer un dos dédaigneux. Pendant
qu'Alfonso, excellente épée, je crois vous l'avoir dit, faisait à notre
client ses dernières recommandations :
- Tu tires comme un pied. Si tu charges le nez en avant, tu es sûr
d'écoper.
- Suis clame, répond Feuillant en haussant les épaules.
Je vous passe les phases d'une rencontre qui procura à Alfonso comme à
moi, l'humiliation de passer pour des blagueurs, quand nous en fîmes le
récit absolument sincère. Feuillant "écopa" successivement de
sept coups d'épée dans la figure. Vous entendez : sept. Deux sur les
joues, un sur le menton, les quatre autres encadrant chacun des deux yeux.
Comme la dernière piqûre ne permettait plus au blessé d'y voir plus
clair, le combat cessa et notre procès-verbal déclara les deux honneurs
satisfaits.
Les deux honneurs ne furent pas seuls à se réjouir. Pendant que nous
nous occupions à panser de notre mieux le visage de Feuillant, entaille
par entaille, je relevai un moment la tête dans la direction de notre
landau. Il ne m'échappa pas que notre cocher, debout sur son siège,
suivait de l'œil les phases de combat désavantageux pour son ancien
adversaire, avec une jubilation où il y avait de l'extase.
Épilogue. Le lendemain, Heeckeren étant allé prendre des nouvelles du
duel, apprit par Édouard que "Monsieur était chez son
médecin" et demanda au valet respectueux le résultat de la
rencontre. Édouard, la figure épanouie d'aise, tapant chaque fois sur sa
cuisse, renseigna :
- Sept dans la gueule, Monsieur le baron !"
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1870
: L'Armée
du Rhin
On retrouve Xavier Feuillant aux Chasseurs
de la Garde Impériale à l'ouverture de la guerre de 1870 : il y
est Engagé Volontaire comme Chasseur "pour la durée de
la Guerre" le 25 Juillet 1870.
Il sera promu Brigadier le 14 Août, et Maréchal des Logis le 7 Octobre
- il est alors présent sous Metz.
CDV Friedr. bruckmann's Verlag,
München & Berlin
Ansichten des
Kriegschauplatzes. 40.Metz vom Fort Queulen aus.I.
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Feuillant a relaté une de ses expérience de campagne
dans Le Gaulois [14]:
"En 1870, pendant le siège de Metz, le jour de
la bataille de Ladonchamps, le général Halna du Fretay, près de qui
j'étais attaché, m'envoya en reconnaissance vers le château.
J'arrivai à un endroit où les chasseurs à pied de la garde impériale
étaient très chaudement engagés. le feu de l'ennemi, très violent à
cet endroit, faisait de grands ravages au milieu d'eux, ce qui ne les
empêchait pas d'avancer à l'assaut du château, dont il s'emparèrent
à la baïonnette. J'allai continuer ma route lorsque je vis au milieu
d'un tas de blessés un prêtre accroupi soutenant un chasseur dans ses
bras. l'endroit était tellement dangereux, je le vis si exposé que je
ne pus m'empêcher de m'arrêter une minute: j'avais reconnu la
pèlerine et le petit capuchon des Assomptionnistes, ayant été élevé
dans leur collège à Clichy. En relevant la tête, je reconnais le P.
Pernet, mon ancien professeur. Il me dit: 'Je donne le passeport à ces
pauvres enfants qui vont paraître devant Dieu. Ne restez pas là ou
bientôt je vous donnerais le vôtre'. Eh bien, mon Père, vous
croyez-vous à l'abri des balles et des obus? 'Oh! moi, que la volonté
de Dieu soit faite, je dois être près de ceux qui souffrent...".
Les combats de Ladonchamps auront lieu les 2 et
3 Octobre 1871 (où le général Gibon s'empare du château de
Ladonchamps et de la ferme de Sainte-Agathe), et la bataille de
Ladonchamps proprement dite (ou bataille de Bellevue) le 7 Octobre.
Feuillant est décoré de la Médaille Militaire le 19 Octobre.
Nous ne sommes donc plus très loin de la capitulation de l'Armée du
Rhin (27 octobre).
Mais il ne sera pas dit que notre esprit fort
s'accommodera de la situation de prisonnier !
Il s'évade en effet de Metz, pour poursuivre la lutte avec l'Armée du
Nord [15] :
"Citons aussi l'évasion du maréchal des logis
Paul Frémy, des Chasseurs à cheval de la Garde, porte-fanion du
général Bourbaki, et celle du sous-officier Xavier Feuillant, du même
régiment, qui, plus tard, commanda l'escadron de dragons de l'armée de
Faidherbe, dit Dragons du Nord."
Son itinéraire d'évadé l'amènera par la Belgique, comme s'en
souviendra un de ses amis, Léon Duchemin [37] :
"C'était un coup d'œil bien autrement
pittoresque il y a deux ans, au temps du siége. Les personnalités les
plus connues, les plus parisiennes, traversaient Bruxelles ou y
séjournaient; les unes, rentrant en France, avaient été surprises par
la brusque interruption des communications ; les autres, venant des
bords de la mer, de Londres, que sais-je? cherchaient un abri pour
attendre en paix la fin de la tourmente. (...) Xavier Feuillant,
de Féligonde, Charette et cent officiers de tous grades, échappés de
Metz ou de Sedan, se serraient la main dans les rues avant de retourner
prendre du service en France ou d'aller soigner leurs glorieuses
blessures, et Xavier, que j'accompagnai jusqu'à Lille pendant que je
regagnais Tours, me chargeait de commissions pour Paris et d'envoyer des
pigeons à une jolie blonde infidèle qui, en ce moment-là, se livrait
exactement à la même occupation que nous. Elle aussi prenait le train."
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L'Armée
du Nord
L'armée du Nord est alors en cours de
formation, sous les ordres du Général Bourbaki (qui avait quitté
l'Armée du Rhin pour se rendre en Angleterre auprès de l'Impératrice
- et vite en revenir !)
[16] :
"(...) Sur ce entrefaites,
vers le 22 octobre arrivait le général Bourbaki, envoyé par le
gouvernement de Tours, après sa romanesque sortie de Metz, pour prendre
le commandement supérieur de la région du Nord. Bourbaki avait certes
bien peu d'illusions. Sous son énergique impulsion cependant, avec le
concours du général Farre, resté auprès de lui comme chef
d'état-major, l'organisation à peine ébauchée se coordonnait, et
prenait rapidement une certaine consistance. On développait
l'artillerie, on multipliait les approvisionnemens (sic) de guerre, on
créait un petit noyau de cavalerie avec quelques escadrons de dragons
et de gendarmes. Quant à l'infanterie, elle se composait de régimens
(sic) de marche organisés dans les dépôts et de bataillons de mobiles
pris dans le pays ou appelés des départemens (sic) voisins.
Une circonstance d'ailleurs favorisait de jour en jour la formation de
cette armée nouvelle. C'est par le nord que passaient tous les
officiers, les sous-officiers qui s'étaient dérobés à la
capitulation de Sedan, ceux qui s'échappaient des prisons d'Allemagne,
et bientôt les évadés de Metz. De ce nombre étaient le colonel
Lecointe, qui venait de commander un régiment de la garde et qu'on
faisait général, le chef d'escadron Charon, à qui on donnait le
commandement de l'artillerie. le général Faidherbe assure qu'on
retrouvait ainsi près de 300 officiers ; c'était un élément
précieux pour l'armée du nord, qui s'en est toujours
ressentie.(...)"
C'est alors
que Xavier Feuillant rejoint l'Armée du nord, promu sous-lieutenant le 7 Novembre
1870.
Bourbaki, destitué, quittera l'Armée du Nord le 19
Novembre, et le commandement de cette armée, après un intérim du
Général Farre, sera confié par Gambetta au
Général Faidherbe.
Feuillant est affecté aux Dragons
du Nord - on retrouve souvent des informations
contradictoires quant à l'organisation de la Cavalerie de l'Armée du
Nord ; Léonce Rousset nous en propose une explication [17bis] :
"Note I.
LES DRAGONS DU NORD
Les ordres de bataille de l'armée du Nord, qui figurent aux pages 359
et 340 du présent volume, limitent à deux escadrons de dragons
l'effectif de cavalerie mis à la disposition du général Faidherbe.
Mais, bien que reproduisant exactement des documents officiels, ils
sont, sous ce rapport, incomplets, ainsi que j'ai pu le constater depuis
leur première publication. Il résulte en effet, tant de témoignages
irréfutables que de l'existence de certaines pièces administratives
établies lors de la constitution des forces françaises du Nord, que
l'armée du général Faidherbe a possédé un régiment comptant
jusqu'à cinq escadrons et désigné sous le nom de Dragons du Nord. (Il
est d'ailleurs question de ces cinq escadrons dans la relation de la
bataille de Saint-Quentin (page 205, note 2).
Tout d'abord, le général Bourbaki avait, dès le mois de novembre
1870, fait former deux escadrons : 1° avec les quelques détachements
et isolés échappés aux catastrophes de Metz et de Sedan, ou évadés
de villes de garnison occupées par l'ennemi ; 2° avec environ 80
cavaliers trouvés dans les places du Nord, où, chose assez étrange,
ils avaient été laissés, eux et leurs chevaux, pour faire le service
de plantons. ces deux escadrons, sous les ordres du commandant Roché,
ont assisté aux batailles d'Amiens et de l'Hallue.
Le 23 décembre, un troisième escadron vint rejoindre l'armée, puis
quelques jours après Bapaume, un quatrième. Le régiment eut alors à
sa tête le colonel Barbault de Lamotte, et le Lieutenant-colonel
Beaussin. Enfin, le 19 janvier, veille de la bataille de Saint-Quentin,
un cinquième escadron, composé en majeure partie d'engagés
volontaires n'ayant que quelques jours de service, arriva à son tour.
c'est à lui qu'advint la fâcheuse aventure de Roupy et de l'Epine de
Dallon (relatée page 214). pendant la bataille du 19, les deux premiers
escadrons se tinrent à l'aile gauche de l'armée de Faidherbe ; le 3°,
avec le colonel, resta vers le centre, aux côtés de l'artillerie du
général du Bessol ; le 4° fut envoyé reconnaître la route de
Cambrai.
Tel est, résumé très succinctement, l'historique des Dragons du
Nord."
Le manque de cavalerie sera un des
handicaps de l'Armée du Nord, qui ne pourra pas compter sur un service
de reconnaissance pourtant capital dans le jeu de chat et de la souris
qu'elle entame avec les Allemands
[17] :
"Le commandant en chef ne
dispose, pour le service d'exploration, que des éclaireurs à cheval
Feuillant, de deux escadrons du 7e dragons de marche et du bataillon de
reconnaissance Jourdan. Tous ces éléments, les dragons surtout, avec
force abus du tir à cheval et à pied, songent plus à faire quelques
prisonniers qu'à renseigner. Le général Faidherbe semble d'ailleurs
compter beaucoup plus sur le bataillon Jourdan que sur sa
cavalerie."
Ces "Dragons du Nord" constitueront le noyau du nouveau
7e Dragons [17] :
"En exécution des ordres du ministre, la
cavalerie de l'armée du Nord sera organisée ainsi qu'il suit : les 4
premiers escadrons de dragons, formés à Lille sous la dénomination de
dragons du Nord, appartiendront, à dater d'aujourd'hui 1er janvier, au
7e régiment de dragons et formeront les 4 premiers escadrons de ce
régiment".
Xavier Feuillant se retrouvera donc intégré au 7ème
Dragons en date du 1er Janvier 1871.
Il y sera porté comme sous-lieutenant au Premier Escadron commandé par le Capitaine Barthal
[18].
Il est toutefois "nommé comt.
en chef des éclaireurs à cheval de l'armée du Nord suivant ordre en
date du 1er Janvier 1871".
Une copie conforme de cet ordre (en
fait daté du 4 Janvier) est insérée dans le dossier militaire de
Xavier Feuillant :
"Ordre
Il sera créé à l'armée du Nord, un corps de cavalerie chargé
d'éclairer au loin la marche de l'ennemi.
Ce corps sera composé de deux pelotons de Dragons de 25 hommes chacun,
sous les ordres de M. Feuillant Sous Lieutenant au 7e Dragons. Il lui
sera adjoint M. André Lieutenant de la Garde mobile. Les 50 hommes
comprendront 3 Sous Officiers et 6 Brigadiers.
Comme il est indispensable que les cavaliers soient des gens de bonne
volonté et très aptes à remplir la mission qui leur est confiée, le
commandant des éclaireurs fera lui-même le choix de ses hommes dans
les 3 Escadrons de Dragons.
Il devra du reste s'entendre, pour cette organisation, avec M. le
Colonel commandant la Cavalerie.
Les cavaliers seront toujours bien montés et les chevaux indisponibles
seront remplacés par les Escadrons de Dragons attachés à l'Armée.
Il sera attribué à ce détachement d'éclaireurs, une solde spéciale
dans les vivres de Campagne (1)
Boileux-au-Mout le 4
Janvier 1871
Le Général en chef
Commandant l'Armée du Nord
Signé Faidherbe
(1)
F
Sous-officiers -1,50
Brigadiers-----1,25
Cavaliers------1,00"
Xavier
Feuillant s'illustrera lors de la Bataille de Saint-Quentin (19 Janvier
1871) ; un ordre du jour de l'Armée du Nord relate [19]:
"Toute l’Armée
française battant en retraite, le commandant Feuillant, des éclaireurs
à cheval de l’armée du Nord, et le lieutenant André du même corps,
entourés de leurs dragons, et soutenus par le commandant Richard, aide
de camp du général Faidherbe, refusant de se porter en arrière et
rassemblant autour d’eux tous les clairons qu’ils purent rencontrer,
leur firent sonner la charge aux cris de « Vive la France
! » L’effet produit sur les troupes fut tel, que plusieurs
bataillons se rallièrent, se portèrent au pas de course dans le
faubourg Saint-martin, se déployant ensuite à droite et à gauche en
forçant les tirailleurs prussiens à se retirer en désordre. Trois
fois de suite, ces braves soldats, combattant sans souliers et sans
cartouches, s’emparèrent des hauteurs dominant la route de Roupy. Ce ne fut qu’à la nuit que les troupes se replièrent
derrière les barricades faites à l’entrée de la ville par une
compagnie du génie. Elles disputèrent le terrain longtemps encore et
donnèrent ainsi le temps au reste de l’armée de se replier par la
route de Cambrai."
Cette résistance de l'armée du Nord
fera du bruit jusque dans les hautes sphères de l'armée Allemande -
d'après le Comte d'Hérisson [20]:
"Au cours de ces longues
et pénibles négociations, je me souviens d'avoir vu trois fois le
chancelier de l'Empire sérieusement en colère. Je vais conter cette
première crise d'emportement ; la seconde se produisit à propos de la
défense de Saint-Quentin, que M. de Bismarck jugeait en chef allemand
furieux d'avoir vu une ville ouverte forcer, par une résistance
inattendue, une armée allemande revenir sur ses pas, et couvrir la
retraite d'une armée française. Il ne pouvait pardonner au courage et
au patriotisme d'un simple lieutenant, devenu commandant par la force
des choses, d'avoir surpris le grand état-major allemand et d'avoir
dérangé ses calculs. Ce lieutenant était mon ami, M. Xavier
Feuillant. (...)"
C'en était toutefois fini de la
guerre avec l'Allemagne, mais pas des combats
[21]:
"Après la signature de
l'armistice, le 28 janvier, les 1er et 2e escadrons regagnent, le 5
février, Valenciennes, et les 3e et 4e, Cambrai, où ils tiennent
garnison jusqu'au mois d'avril.
(...)
A peine les préliminaires de paix étaient-ils ratifiés par
l'Assemblée Nationale, qu'éclatait à Paris la terrible insurrection
dénommée la Commune, et fomentée par des Français sous les yeux des
armées allemandes qui occupaient toujours la banlieue.
Le 7e Dragons eut le pénible devoir d’aider à repousser cette triste
insurrection."
Feuillant est fait Chevalier de la
Légion d'Honneur le 28 Février 1871.
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La
Commune - L'Armée de Versailles
Notre personnage ne reste pas
inactif (ce n'est certes pas son tempérament !), dans cette période
qui précède les hostilités de la commune [36]
:
"Voici maintenant un autre renseignement non moins curieux qui
prouve que, dès le premier jour de la Commune, M. Thiers refusa un
secours qui lu aurait permis d'en avoir raison facilement.
Le général Farre était major général, en février 1871, de l'armée
que commandait à Cherbourg le général de Pointe de Gévigny. Cette
armée avait été formée de l'armée du Nord, supprimée après
Saint-Quentin; elle comptait à peu près 35 000 hommes et un matériel
de chemin de fer presque intact, pouvant transporter ces 35 000 hommes
en quarante-huit heures.
Le général en chef chargea le général Farre d'envoyer un de ses
officiers d'ordonnance à Paris, aussitôt après la nouvelle que la
Commune avait éclaté, afin d'offrir à M. Thiers le concours de
l'armée de Cherbourg, dont il était sûr au point de vue moral ;
s'engageant à prendre Paris dans les quarante-huit heures suivantes,
sans coup férir.
Cet officier d'ordonnance était M. Xavier Feuillant.
Il vint à Paris, se rendit compte de la position, vit incidemment
l'abbé Deguerry, dans son bureau à l'Assomption, et se rendit à
Versailles auprès de M. Thiers.
Dans son entretien avec l'abbé Deguerry, M. Feuillant lui avait
conseillé de partir sans perdre de temps. Réponse de l'abbé : Un
prêtre est un soldat qui doit savoir mourir à son poste. C'est en
effet le sort que lui réservait l'avenir.
M. Feuillant était accompagné de sa mère lors de sa visite au
curé de la Madeleine. C'est chez elle, 13, rue Royale, que le trésor
et les ornements de la Madeleine avaient été cachés. Mme André
facilite à M. Feuillant une audience immédiate de M. Thiers.
Réponse de M. Thiers à M. Feuillant:
« Le général de Pointe de Gévigny est fou. Je le remercie de sa
bonne volonté absolument inutile. » — Conversation grincheuse que M.
Thiers termine en disant qu'une armée se forme à Versailles qui
suffira à tous les besoins. M. Saint-Genest, du Figaro, M. de
Pressensé ont été mis au courant de ces négociations.
Lettre de M. Feuillant à son chef pour le tenir au courant des
négociations.
Réponse du général Farre ainsi conçue :
« Mon cher Ami,
« Nous vous remercions; nous craignons bien que vous ne voyiez très
juste. Le seul conseil que nous puissions vous donner, est, puisque vous
nous dites en avoir les moyens, d'informer le Gouvernement très
exactement de ce que vous savez.
« Tâchez de savoir ce qu'il compte faire; car rien ne peut avoir lieu
sans son assentiment et son initiative. Comme nous avons tout lieu de
penser que d'un moment à l'autre nous pouvons quitter Cherbourg, nous
vous engageons à rester encore à Paris. Faites avec cœur, énergie et
le courage qui vous distingue la démarche que nous vous conseillons.
Faites-nous en connaître le résultat. Donnez-nous votre adresse à
Versailles, pour que nous puissions vous y adresser une lettre ou une
dépêche télégraphique au besoin. — Votre messager attend. Je me
hâte de terminer, en vous assurant, tant au nom du général en chef
qu'au mien, de notre bien vive amitié.
« FARRE.
« 31 mars 1871.
« P.-S. — Un des moyens : la Chambre actuelle pourrait être un objet
de suspicion, à cause de la diversité des partis, de la part même des
honnêtes gens de Paris.
« Si le Gouvernement n'a pas l'énergie
d'agir, il faut qu'il fasse immédiatement une loi pour de nouvelles
élections et que tout repasse au creuset, sans toutefois mettre en
question l'existence de la République, qui seule peut, sinon concilier,
du moins atténuer et réprimer les passions et les exigences des divers
partis.
« Sans hésiter, voyez le Gouvernement et faites-lui part de
tout ce que vous aurez appris et de ce que nous avons dit.
« Adieu,
encore.
A Monsieur Xavier Feuillant, officier d'ordonnance. »
Son régiment, pendant ce temps-là, s'apprêtait à entrer en action
:
"Dans les derniers jours
de mars, un certain nombre d'officiers du régiment qui avaient été
fait prisonniers à Metz, rejoignirent le corps à Valenciennes. Le
colonel de Gressot reprit, le 3 avril, le commandement au colonel
Barbault de la Motte qui, un mois plus tard, fut nommé au commandement
du 13e dragons.
Le 7e reçut bientôt l'ordre d'aller rejoindre à Versailles l'armée
qui s'organisait pour la répression de l'insurrection qui, maîtresse
de la capitale, se livrait aux pires excès.
Les quatre escadrons, à l'effectif d'une centaine d'hommes par
escadron, quittèrent Valenciennes le 10 avril (...) Transportés à
Versailles en chemin de fer, ils y arrivèrent le 11. Jusqu'au 15 ils
bivouaquèrent au lieu dit : la Ménagerie du Palais, puis furent
dirigés sur Wissous, au sud de Paris, où ils restèrent jusqu'au 20
mai.
Le 7e Dragons, affecté à la brigade Bernis,
comptait à la division Beyssière du 3e corps du Barail. Non loin des
cantonnements qu'il occupait à Wissous, se trouvaient ceux de 4e, du 8e
Dragons et du 6e Chasseurs.
Dès le 21, le lendemain de son arrivée à Wissous, le régiment tout
entier, à l'exception d'un escadron laissé en grand'garde, exécute
une reconnaissance sur l'Hay, Chevilly et Villejuif. Quelques coups de
feu sont échangés en avant de ce village, sans grand résultat."
"Sans grand résultat" ici,
mais au même moment, Feuillant était détaché auprès du chef de la
1ère Division de ce 3e Corps du Barail, son ancien Général de
division lorsqu'il était aux Chasseurs de la Garde :
"Le général Halna du
Fretay, commandant la 1ere Division du 3ème Corps, certifie que M.
Feuillant, Officier d’Ordonnance, a reçu un obus qui a éclaté le
ventre de son cheval pendant qu’il accomplissait une mission dont nous
l’avions chargée le 21 mai 1871, en défendant Choisy-le-Roi contre
les insurgés." [22]
"Cet obus, en éclatant, a projeté en l’air M. Feuillant, qui en
retombant, a été gravement contusionné et dans l’impossibilité de
faire aucun service pendant quelques jours. Le cheval était en
marmelade, la selle, les armes brisées." [23]
Ce 21 mai est aussi le début de la "Semaine
Sanglante", qui marquera la fin de la Commune.
Le Médecin-Major du 7e Chasseurs
(parmi lesquels il semble que Feuillant se trouvait alors détaché)
décrira ses blessures :
"(...) M. feuillant a
été atteint le 21 Mai 1871, au combat de Choisy-le-Roy, de contusion
profonde et violente de la colonne vertébrale et de la cuisse gauche,
avec commotion cerebro-spinale par suite d'éclat d'obus et de chute de
cheval."
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L'après
guerre
Xavier Feuillant trouvera encore le
moyen de faire parler de lui, dans le style qui lui est si particulier.
C'est Juliette Adam, la célèbre écrivain, polémiste et salonnière
qui nous en fait part
[24]:
"Grand émoi dans Paris.
On raconte que Xavier Feuillant a giflé l'Henckel de la Païva aux
Champs-Elysées."
Elle parle ici de Guido Graf
Henckel Fürst von Donnersmarck, un cousin de Bismarck, dont il se
disait alors qu'il était celui qui avait insisté pour faire augmenter
le montant de l'indemnité de guerre (les six milliards de francs,
ramenés à cinq) exigée par l'Allemagne. Ce rôle supposé lui a valu
une grande antipathie (certainement de Juliette Adam en tous cas !),
d'autant que Henckel habitait Paris avant-guerre.
"La Païva" est une
aventurière de l'époque, dont voilà le savoureux portrait, par le
Comte de Viel Castel [25]:
"Dans les hauts bas fonds
de la société parisienne il existe une certaine Madame de Païva qui
est la reine des femmes entretenues, la lionne du genre. Cette femme,
Russe d'origine, a été longtemps la maîtresse de Hertz, le pianiste,
puis celle du duc de Guiche aujourd'hui duc de Grammont, puis aussi
celle d'une certaine quantité de notabilités plus ou moins notables.
Bref comme les années se passaient sans amener ni une position, ni la
fortune, elle prit la ferme résolution de conquérir l'une et l'autre.
D'abord elle sut rendre amoureux fou un certain Portugais nommé le
marquis de Païva, cousin de l'envoyé actuel de Portugal, et elle le
rendit si bien amoureux et si bien fou que l'infortuné lui offrit sa
main qui fut, comme on le pense, acceptée.
Le lendemain du mariage, au réveil des nouveaux époux, Madame de
Païva tint à peu près ce langage à son amoureux satisfait :
"Vous avez voulu coucher avec moi, et vous y êtes parvenu en
faisant de moi votre femme. Vous m'avez donné votre nom, je me suis
acquittée cette nuit. J'ai agi en honnête femme, je voulais une
position, je la tiens, mais vous, Monsieur de Païva, vous n'avez pour
femme qu'une p..., vous ne pouvez la présenter nulle part, vous ne
pouvez recevoir personne ; il est donc nécessaire de nous séparer,
retournez en Portugal, moi je reste ici avec votre nom, et je demeure
p..."
Le Marquis de Païva retournera d'abord au Portugal - il finira par se
suicider.
"La Païva" a donné son nom a un extravagant palais que
Donnersmarck lui fit construire au 25 des Champs Elysées - on y
remarque ainsi une célèbre baignoire en argent à trois robinets - le
troisième servant exclusivement au champagne !
Donnersmarck (qui épousera sa maîtresse le 28 Octobre 1871 à Paris)
est nommé Gouverneur de Metz à la fin de la guerre.
Mais revenons à la gifle dont bruisse
Paris ; Juliette Adam précise dans une note de bas de page :
"J'ai écrit à M. Xavier
Feuillant pour lui demander quelle était au vrai l'aventure. Voici ce
qu'il m'a fait l'honneur de me répondre :
1° Je n'ai pas giflé Henckel, je lui ai coupé la figure à
coups de fouet depuis le 118 de l'avenue des Champs-Élysées
jusqu'à hauteur de son hôtel. Il était à cheval, moi dans mon
phaéton. J'avais à côté de moi dans ma voiture Arthur Meyer.
Assistaient à cette correction des fenêtres du 118 des Champs-Élysées,
où j'avais déjeuné, le prince et la princesse Achille Murat, le
général Fleury, le prince J.Murat, général de brigade, Maurice
d'Hérisson, Paul de Cassagnac.
2° Après cette équipée je demandai de suite à mon beau-père le
marquis de Contades-Gizeux et au général duc de Lesparre de me servir
de témoins; Ces Messieurs allèrent se mettre séance tenante aux
ordres d'Henckel. Celui-ci, après vingt-quatre heures de réflexion !!
ne donna pas suite aux coups avec lesquels je lui avais marqué la
figure d'un X sanglant.
3° A quelque temps de là (cette scène se passait en mai 1872), je
rencontrai au Vaudeville, dans la première baignoire de gauche, Henckel.
Pendant l'entr'acte j'allai avec ma canne lui intimer l'ordre de sortir,
lui défendant de rester dans un endroit public où je me trouverais
tant qu'il ne se serait pas battu avec moi. Je me servis à son égard
de qualifications peu courtoises.
4° La cause de ma colère a été le rôle odieux qu'il a joué quand
il a été nommé gouverneur de la Lorraine, faisant massacrer
des gens, brûler des maisons sous prétexte qu'on ne lui payait
pas les réquisitions qu'il réclamait. Il a agi d'autant plus comme un
sauvage qu'à Paris, avant la guerre, il était très accueilli partout
et qu'après sa rentrée triomphante à la défaite de Paris, il a eu
l'audace de rentrer chez lui, hôtel Païva, en grand uniforme, suivi de
son état-major, ce bourreau de Metz, de la Lorraine !"
La Païva et Donnersmarck seront
accusés d'espionnage et expulsés de France en 1878. |
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Passage
à l'Armée Territoriale
L'Annuaire Militaire de 1873 nous
révèle que Xavier Feuillant (qui avait été proposé par le Général
Halna du Fretay pour le grade de Lieutenant le 30 Mai 1871) est toujours
sous-lieutenant au 7e Dragons .
L'Inspection Générale de 1872 nous
offre une savoureuse note sous la plume acérée de du Barail :
1872- "Les débuts
assez lointains de M.Feuillant dans la carrière ont été quelque peu
orageux et difficiles. Il semble être bien revenu de ses erreurs de
jeunesse. Rengagé pour la durée de la guerre après libération il est
arrivé rapidement à l'épaulette. Médaillé, décoré pour son
brillant courage au feu, c'est aujourd'hui un officier bien posé et
décidé à compléter rapidement son instruction militaire. Il est
intelligent - de l'originalité dans l'esprit. Il est fort connu dans le
monde. Manque souvent de jugement, parfois de bon sens. En somme
officier de valeur." Général du Barail.
Il a suivi les Cours de l'Ecole
de Cavalerie de Saumur comme
Sous-Lieutenant d'instruction du 1er Mai au 31 Décembre 1872 ; il en
sortira
avec le No. 31 sur 54 avec cette appréciation :
"Mr. Feuillant a su, sans
s'être donné tous les tracas d'un travail très assidu, se maintenir
dans ses cours à une hauteur passable ; je suis étonné de ce
résultat avec un caractère que j'avais toujours su léger.
C'est un officier très intelligent qui a pas mal appris, et qui sortira
à la hauteur de ses devoirs.
Il monte parfaitement à cheval, en habile cavalier.
Son éducation est celle d'un homme du monde qui cherche à devenir
sérieux."
Feuillant démissionnera le 22 Mai
1873,officiellement motivé par "des intérêts considérables
engagés dans une exploitation industrielle".
Il rejoint toutefois bientôt l'Armée Territoriale - affectation qu'il
sollicite auprès du Ministre de la Guerre dans un courrier du 11
Octobre 1875 :
"Monsieur le Ministre,
Je viens vous prier de m'accorder, dans l'armée territoriale qui
s'organise, un grade de chef d'escadron à la suite de l'arme de la
Cavalerie, détaché dans le service des Etats-Majors, grade que j'ai
déjà rempli à l'armée du Nord, pendant la guerre de 1870 à titre
auxiliaire à la tête de dragons.
J'espère, monsieur le Ministre, que vous ne trouverez pas ma demande
trop indiscrète, en lisant mes états de service et l'opinion de mes
chefs.
J'ai 33 ans, j'ai été médaillé de décoré pour actions d'éclat,
j'ai des campagnes, en Afrique, en Syrie, aux armées du Rhin et du
Nord, sous les murs de Paris, où j'ai été blessé. J'ai suivi un
cours à l'Ecole de Cavalerie de Saumur, comme Officier d'instruction.
Je n'ai, Monsieur le Ministre, qu'un seul désir. Celui d'être en état
de servir mon pays, si vous m'en jugez digne, partout et là où je
pourrai lui être utile.
Voilà ce qui justifie l'ambition que j'ai l'honneur de vous soumettre.
(...)"
Le Bulletin de Renseignements
établi alors note "Célibataire. Vigoureux. Assez faiseur
d'embarras mais beaucoup d'entrain."
Il sera nommé Capitaine au 2e
de Cavalerie Territoriale (Service d'Etat-Major) le 23 Août 1876.
Il est placé "à
la suite de l'arme" le 11 Février 1878 "pour un
service d'Etat-Major".
Cette position ne l'empêche pas de se
rendre en Angleterre, lors de
l'enterrement du Prince Impérial (tué au Zululand le 1er Juin
1879), à Chislehurst, le 12 Juillet 1879 [26]:
"Tout le second Empire,
tout ce qui en demeurait, du moins, était là, excepté les officiers
en activité. Seuls, les anciens membres de la maison du Prince,
Duperrré et d'Espeuilles, avaient reçu l'autorisation nécessaire et
purent partager, avec Ligniville et Bachon, l'honneur de se tenir,
pendant la messe, aux côtés du cercueil. Les officiers légataires du
Prince eurent aussi la permission d'assister aux obsèques. Cette
permission fut refusée à tous les autres, y compris les maréchaux
Canrobert et Lebœuf. On a prétendu, alors, que l'ambassadeur de la
République avait osé discuter avec le gouvernement anglais
l'importance des honneurs à rendre e le nombre des coups de canon. Je
ne sais si le fait est vrai ; notre gouvernement d'alors était fort
capable de cette impudence, mais lord Beaconsfield n'était pas homme à
la tolérer".
C'est encore son ami le Comte
d'Hérisson qui nous relate la présence de Feuillant à la cérémonie [27]:
"(...) Derrière les
députations, une foule énorme s'avance, difficilement contenue par les
cordons d'artilleurs et de volontaires du Kent, qui forment la haie. Au
sortir des grilles, un instant de désordre et de confusion se produit.
Quelques personnes rétablissent immédiatement l'ordre, et parmi elles,
MM. Edouard André, Dréolle, Feuillant, Alexandre de Girardin, qui
marchait auparavant à la tête d'une députation avec couronnes, avec
MM. Raimbaud et Davilliers.(...)".
Il passe au 5e Régiment Territorial
de Cavalerie (Escadron de Dragons) le 26 Mars 1880. |
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Le
Procès
Xavier Feuillant refait parler de lui
en 1883. Cette année est marquée par une manifestation des "sans
travail", le 9 Mars 1883, que Louise Michel conduisit en
brandissant un drapeau noir de l'esplanade des Invalides à la place
Maubert, où elle fut dispersée par la police (je parle de la
manifestation !).
Louise Michel et Emile Pouget, à l'origine de cette manifestation,
furent arrêtés et condamnés à respectivement six et huit ans de
prison.
C'est également le cas de ce coquin
de Feuillant, comme le relatera la presse de l'époque [28]:
"GAZETTE DES TRIBUNAUX
(...)
Un dernier écho de la manifestation des "ouvriers sans
ouvrage" du mois de mars dernier.
M. Xavier Feuillant comparaissait hier, jeudi, devant la 11e Chambre
correctionnelle, présidée par M. Horteloup. On sait que M. Feuillant est
prévenu d'avoir excité les ouvriers à marcher sur l'Élysée, et
qu'une longue contestation sur la question de compétence a retardé
jusqu'à ce jour l'examen du procès.
M. Feuilant déclare être âgé de quarante et un ans ; il est ancien
officier.
D. Vous êtes prévenu d'avoir
poussé le cri : "A l'Élysée!" pendant la manifestation du 9
mars ?-R. Je passais faubourg St-Honoré ; j'ai répondu simplement à
une question d'un de mes amis : "Ils vont à l'Élysée." Mais
je n'ai jamais adressé de provocation aux manifestants.
L'inspecteur de police Demailly
déclare que M.Feuillant a levé sa canne en l'air, au milieu d'un
groupe, en criant : A l'Élysée ! Il se trouvait au coin de la rue du
Cirque.
Je l'ai fait immédiatement
arrêter, dit l'inspecteur.
D. Le ton sur lequel était prononcé le propos laissait-il un doute sur
l'intention de M. Feuillant ?-R. Il ne laissait aucun doute.
M. le président.- M.Feuillant ne semblait pas répondre à une question
? -R. On ne lui en a adressé aucune.
D. Alors il parlait sur un ton de commandement ? -R. Parfaitement, en
levant sa canne, comme je l'ai dit. Quelqu'un lui a même crié :
"Prenez garde, vous allez vous faire arrêter."
M. Feuillant explique qu'entouré
de gardiens de la paix, et très éloigné des manifestants, il n'avait
aucune raison de faire entendre une provocation qui ne fût pas arrivée
aux oreilles des émeutiers. "C'eût été l'acte d'un fou",
dit-il.
M. le président.- Que faisiez-vous
faubourg Saint-Honoré ? -R. j'étais allé déjeuner chez un ami. Puis
nous avons essayé un cheval avenue d'Antin. ayant appris qu'il y avait
une manifestation à l'esplanade des Invalides, je m'y rendis, mais
l'esplanade était tranquille. Je rentrais pour faire desvisites avec ma
femme quand je fus arrêté près de l'Élysée par la bagarre
occasionnée par la manifestation.
Un serrurier, M. Husson, qui se
trouvait à côté de M.Feuillant dans la foule, dépose qu'il a bien
levé sa canne en l'air en criant "A l'Elysée !" Il parlait
d'un ton de commandement, non sur le ton de la conversation, et il
s'adressait bien aux manifestants.
M. Gélinard, peintre, accompagnait M. Feuillant :
M. Feuillant, dit-il, rentrait chez
lui ; il demeure rue Miromesnil. Les escouades de sergents de ville nous
ont barré le chemin. C'est moi qui ai demandé à M.Feuillant :
"Où vont ces gens là ?" Il m'a répondu: "A l'Élysée."
Aussitôt un individu en bourgeois a requis deux agents de l'arrêter.
Comme j'étais à quelques pas de lui, séparé par un groupe d'agents,
M.Feuillant a parlé assez haut.
D. A-t-il fait un geste ?
Le témoin.- Je ne l'ai pas vu.
M. le substitut Bulot requiert la
condamnation de M.Feuillant : il trouve une preuve nouvelle de sa
culpabilité dans les embarras de procédure qu'il a suscités pour
retarder la solution de l'affaire. "S'il y avait eu dans son
arrestation un simple malentendu, il eût tenu à le voir se dissiper
tout de suite, alors que la mémoire des témoins était absolument
fraîche.
Me Duverdy présente la défense de M.Feuillant, dont il rappelle la
brillante conduite pendant la guerre.
(...)
Me Duverdy discute ensuite les témoignages et conclut à l'acquittement
de son client.
Le Tribunal condamne M.Feuillant à trois mois de prison."
Cette condamnation sera réduite par
la cour d'appel de Paris ; le cas fera même écho en Angleterre,
relayé par le Times [29]
:
"Paris, Thursday, Aug. 30.
(...)
The sentence of three months' imprisonment passed on M. Xavier
Feuillant, a Bonapartist journalist, who gave the signal to the bread
rioters to march on the Elysée, was to-day reduced, on appeal, to one
month."
|
|
Cette condamnation n'a alors pas de conséquence sur sa
position de Capitaine de Cavalerie Territoriale - Feuillant accomplit ainsi une
période d'exercice du 10 au 25 Septembre 1883, ni sur l'opinion qu'on de lui
ses supérieurs comme l'indiquent ses notes :
1884: "Mr Feuillant est un
très remarquable officier, très connu pour son entrain. Il a de remarquables
services de guerre à l'armée du Rhin, à l'armée du Nord et à l'armée qui a
réprimé la commune. Il rendrait de grands services en temps de guerre. Il
monte très bien à cheval et a beaucoup d'énergie dans le commandement".
Le Lt Colonel du 6e Dragons. Laurens de Waru.
Il est investi des fonctions d'Adjudant-Major (chargé de faire respecter la
discipline !) des 1er et 3eme Escadrons Territoriaux de Dragons de la 5e Région
le 5 Septembre 1884.
Le 4 Juillet 1885, "ayant atteint le
temps de service exigé par la Loi sur le Recrutement", il sollicite et
obtient (en date du 8 Août) d'être maintenu dans son emploi. Cette décision
sera importante dans les années à venir.
Il accomplit encore une période d'exercices du 28 Octobre au 9 Novembre
1885 :
1885: "A accompli une période
d'exercice du 28 Octobre au 9 Novembre. b. officier, énergique, vigoureux.
Très bon cavalier ; bonne instruction théorique et pratique. A de la fermeté
dans le commandement. Fera un bon Capitaine Commandant". Joigny,
Novembre 1885. Colonel Rapp.
Il n'est pas convoqué en 1886 - probablement
du fait que le Général
Carrey de Bellemare, Commandant alors
le 5e Corps désire se séparer de lui - les engagements politiques de Feuillant
semble commencer à être "encombrants" pour la haute hiérarchie, et
une enquête est demandée sur son passé :
"Gouvernement Militaire de Paris -
Gendarmerie - Légion de Paris - Compagnie de la Seine.
Paris, le 26 janvier 1886.
Le Capitaine Lemercier Commandant la 1ère Section de Paris au Chef d'Escadron
Comt. la Compagnie de la Seine, à Paris.
Mon Commandant,
Conformément aux lettre n° 62 du 12 Janvier courant de Monsieur le Général
Comdt. la place de Paris, relatives aux antécédents judiciaires de Monsieur
Feuillant (Charles Etienne Xavier) Capitaine aux Escadrons territoriaux de
Dragons de la 5e Région, j'ai l'honneur de vous exposer les circonstances qui
ont motivé les 4 condamnations ci-après subies par cet officier territorial :
1°- 100F d'amende - à Paris - 10 mai 1872 : coups blessures et injures.
A la suite d'une note émanée de la rédaction du Corsaire M. Rogat a provoqué
en duel Mr. Richardet rédacteur en chef de ce journal, la rencontre a eu lieu
le 24 Mars 1872 et M. Richardet a reçu une blessure à la poitrine.
M. Feuillant, qui était témoin de M. Rogat a été pour ce fait
condamné, ainsi que les 3 autres témoins et le vainqueur, comme complices de
la blessure reçue, dans ce duel, par M. Richardet, à 100F d'amende.
2°- 100F d'amende à Paris - 24 avril 1878 : injures publiques.
Dans son No. du 29 mars 1878, le journal le Pays, en réponse à un article
inséré dans le journal le Bien Public, par M. Léon Millat, a publié une
lettre signée par Xavier Feuillant et Alexandre de Girardin, laquelle se
terminait par le passage suivant : "Nous venons, sur la demande expresse de
notre client, en son nom et sous sa responsabilité, déclarer que M. Léon
Millat est un lâche."
Sur la plainte de M. Léon Millat, le gérant du journal le Pays et les 2
signataires de la lettre publiée par ce dernier journal, ont été condamnés
chacun à 100F d'amende et aux frais.
3°- 3 mois de prison - Paris - 12 mars 1883 : provocation à un
attroupement.
Manifestation politique.
Le 9 mars 1883, les manifestants remontaient le faubourg St.Honoré ; M.
Feuillant se trouvait, par hasard, parmi les spectateurs ; il s'en détacha en
élevant sa canne en l'air et, se dirigeant vers le group de manifestants,
proféra, sur le ton de commandement, le cri "à l'Elysée !"
C'est à la suite de ce cri queM. Feuillant a été arrêté, conduit au
dépôt, puis condamné à 3 mois de prison.
4°- 1 mois de prison - à Paris - 30 Août 1883 : provocation à un
attroupement.
Cette dernière affaire n'est que l'épilogue de la précédente, M. Feuillant
ayant fait appel du jugement prononcé contre lui le 12 Mars 1883, la cour
d'appel, par jugement du 30 Août 183, a réduit à 1 mois de prison la peine
précédente.
Ces renseignements m'ont été donnés aux greffes de la cour d'appel et au
tribunal correctionnel de la Seine où j'ai pu obtenir la communication des
dossiers."
Ce rapport fut transmis au "Général
commandant la Place de Paris et le Département de la Seine en exécution de sa
note de service No. 305 du 13 (janvier 1886)".
Mais Feuillant compte manifestement quelques
soutiens, politiques ou personnels.
Ainsi, si le Général de Brigade Commandant la
subdivision de Région dans laquelle réside l'officier écrit au rapport
d'inspection 1886 qu' "en raison de ces condamnations, Mr. feuillant ne
me paraît pas devoir être maintenu dans les cadres des officiers de l'armée
territoriale quoique sa conduite et sa moralité soit bonne",
cette note est surchargée d'un "L'inspecteur Général n'est pas de cet
avis".
Dans cette situation délicate,
le courrier que le Ministre de la Guerre prépare le 23 Février 1886 en
réponse au Général Carrey de Bellemarre est un modèle de louvoiement :
"Mon cher Général,
Vous m'avez fait connaître, par lettre en date du 7 Février courant, que vous
estimez qu'il y aurait lieu de ne pas maintenir dans les cadres de l'Armée
territoriale Mr. le Capitaine Feuillant dont les trois condamnations et
l'attitude dénotent une conduite ouvertement hostile à l'état de choses
établi.
Bien que j'approuve, en principe, votre manière de voir, je ne puis prendre une
mesure de rigueur contre cet officier pour un fait qui remonte au Mois d'Août
1883, alors surtout qu'il a été maintenu après l'âge de 40 ans dans son
grade et son emploi par décision spéciale rendue au mois d'Août dernier, sur
votre propre proposition.
Je regrette que cette situation ne m'ait pas été signalée à cette époque
où, ayant accompli le temps de service exigé par la loi, il pouvait être
purement et simplement rayé des cadres de l'armée territoriale.
Dans ces conditions, je ne puis que vous engager à surveiller de très près la
conduite de M. Feuillant et à me signaler la première faute qu'il pourra
commettre."
Ce courrier, conservé dans le dossier
militaire de Xavier Feuillant, porte au crayon la mention suivante :
"Minutes écrites par le Colonel
Directeur. Cette lettre n'a pas été envoyée, le général Carrey de
Bellemarre ayant quitté le commandement du 5e Corps d'Armée."
L'année suivante, Feuillant est convoqué à
nouveau pour une période d'instruction, du 4 au 19 Novembre, à la satisfaction
de ses chefs :
1887: "Convoqué en 1887 pour
une période d'instruction en même temps que les 3e et 1er escadrons.
Mr.Feuillant est un officier de cavalerie vigoureux et dévoué plein du feu
sacré il rendrait de sérieux services en Campagne. Il a du commandement et
mérite d'être proposé pour le grade de Chef d'Escadrons." Le Colonel
Lacordère.
Feuillant est d'ailleurs proposé pour le
grade de Chef d'Escadrons à cette inspection de 1887.
Le
17 Avril 1888, il devient "Capitaine Adjoint au Chef d'Escadrons".
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Le
Boulangisme
Comme nombre de Bonapartistes, on
retrouve Xavier Feuillant gravitant autour du Général Boulanger ; il
est tout d'abord impliqué à titre "professionnel"
pourrait-on dire : le Général Boulanger arrive à la Chambre le 12
juillet 1888, et son discours enflammé entraînera un célèbre duel
avec Gaston Floquet, le président du Conseil.
Un duel ? Feuillant ne pouvait pas être loin, et assistera le Général
Boulanger [30]
:
"Le matin, avant la
rencontre, le comte Dillon vint chez lui et lui demanda :
- Tires-tu bien ?
- Pas du tout. Depuis notre dernier assaut à Saint-Cyr, en 1858, je n'ai
jamais touché un fleuret.
- Il faut te refaire la main, viens prendre une leçon.
Le général refusa. "Baste, ça n'avait pas d'importance. Il ne lui
arriverait rien."
Enfin M.Dillon le décidé. On fit appeler M.Xavier Feuillant, le
gentleman bien connu, qui est un bon tireur. Le général et lui
s'alignèrent.
En le voyant en garde, M.Feuillant reconnut à qui il avait affaire.
- Vous ne savez rien, mon général.
- Non.
- Mais alors...vous ne pouvez pas parer.
- Non, je charge.
- Mais on se fait embrocher avec ce système-là...
- Ou on embroche.
- Essayez.
Ils ferraillèrent. A la première attaque, le général tombait sur
l'épée de M.Feuillant.
- Mon général...vous voyez.
- Tant pis... vous comprenez que je n'ai pas le temps d'apprendre la plus
simple parade. Si je veux me mêler de faire de l'escrime, je serai
ridicule...Je chargerai comme je vous ai fait tout à l'heure.
Il tint parole. Il attaqua comme un zouave, et, comme il s'était enferré
sur le fleuret moucheté de M.Feuillant, il s'enferra sur l'épée pointue
de M.Floquet."
La grave blessure récoltée par
Boulanger surprit énormément l'opinion publique, et atteint à sa
crédibilité : un militaire battu en duel par un civil - et un civil pas
fameux escrimeur de surcroît !
L'aventure Boulangiste se poursuivit
néanmoins, jusqu'à l'année suivante, où après des succès électoraux
(dans un système de candidatures multiples), la tension culmina et on lui
fit savoir le 1er Avril 1889 qu'un mandat d'arrêt pour atteinte à la
sûreté de l'état allait être lancé contre lui.
Boulanger se réfugia alors en Belgique - pour le plus grand désarroi de
ses partisans [31]
:
"Or, un ami de Boulanger
se trouve là : Xavier Feuillant, le professeur d'escrime d'avant le
duel avec Floquet, une sorte de mousquetaire toujours en mal d'affaires
d'honneur. Le Hérissé, qui le connaît, le supplie d'aller chercher le
général. Feuillant, en pantalon et redingote de cheval, bottes et
éperons, court à la gare du Nord. Cependant, tout Paris est suspendu
aux nouvelles. Au cercle de l'Épatant, que l'on inaugure, se propagent
les bruits les plus divers : la démission du ministère, un coup de
main contre Boulanger. Chez les de Mun, qui donnent un grand dîner, les
convives se refusent à croire à la fuite. A minuit, c'est une cohue à
la Presse. Laguerre, qui revient avec sa femme d'une soirée chez
Millevoye, répète aux journalistes pressés dans les couloirs :
«Patientez ! Patientez ! Le général ne va pas tarder !» L'heure du
train de Bruxelles passe et toujours point de général"
(...)
Le lendemain, à six heures du matin, le mousquetaire Feuillant, en
costume d'équitation, arrive à l'hôtel Mengelle, où est descendu
Boulanger sous le nom de M. Bruno.
Feuillant a fait un récit de sa visite, où l'imagination corse
accentue peut-être le pittoresque : « Au moment où j'entrais à
l'hôtel et où je demandais mon associé de Lyon, M.X..., on me dit que
justement il sonne à ce moment. Je me précipite derrière le
domestique qui montait à sa chambre, j'entre, et je vois le général,
couché, effaré de me voir. Je renvoyai le domestique, fermai la porte
à double tour. — « Que voulez-vous, Feuillant? Pourquoi êtes-vous
ici? » Vous entendez d'ici tout ce que je lui dis sur la France, ses
épaulettes, son épée, son passé, sur ce que le peuple attend de lui.
Très ému je l’avais décidé à revenir avec moi. Nous devions
rentrer en faisant le tour de Paris par la ligne P.-L.-M. Il irait à la
Chambre, et dirait : «Comment, un député n'a pas le droit de s’absenter
vingt-quatre heures pour affaires ? On ose dire que j’ai fui ? Me
voici à mon banc. Si vous touchez « à un cheveu de ma tête, je me
mets sous la protection du peuple de Paris qui m'a élu député. » «
Je l'ai aidé à s'habiller Au moment de partir, il me dit : « Une
minute, j'entre dans le « cabinet de toilette à côté, je reviens,
nous «partons ensemble. »
Il ne fut pas deux minutes absent, rentra en se tordant de rire. Il
venait sûrement de causer avec son amie Mme de Bonnemains, agent de M.
Constans , et me dit : « Mon pauvre Feuillant, vous êtes tout à
fait fou. Retournez à Paris. J’ai donné à manger (sic) au peuple de
Paris et quand vous arriverez, « vous verrez que tout sera calme. »
Boulanger a probablement eu une velléité de retour, comme il a eu,
dans la soirée du 27 janvier, une velléité de coup d'État. Mais il a
donné un manifeste « à manger au peuple ».
Effectivement le Général Boulanger
adressa un manifeste qui fut publié dans la presse - ce fut la fin du
boulangisme, suivie d'ailleurs de peu par celle de Boulanger qui se
suicidera le 30 septembre 1891.
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Fin
de Carrière Militaire
Feuillant, Boulangiste notable donc, n'est pas en
odeur de sainteté auprès des instances gouvernementales, qui cherchent à se débarrasser de
lui : "Ministère de
l'Intérieur - Direction de la Sûreté Générale - 4e Bureau - Police
Générale.
Paris, le 24 Avril 1889.
Monsieur le Ministre et cher Collègue, Mon
attention vient d'être appelée sur le nommé Feuillant (Charles Etienne
Xavier), demeurant à Paris, 25, rue de Galilée, qui m'est signalé comme un
des agents les plus actifs de la propagande boulangiste. Le sieur Feuillant est
capitaine adjudant major à l'Escadron territorial de Dragons de la 5eme
région, stationné à Joigny. Il est noté de la façon suivante aux sommiers
judiciaires :
100F d'amende, Paris, 10 mai 1872, complicité de coups, duel ;
100F d'amende, Paris, 24 Avril 1878, injures ;
3 mois de prison, Paris, 30 Août 1883, provocation à un attroupement. Cette
dernière peine a été réduite à 1 mois de prison.
J'ai cru devoir porter ces faits à votre connaissance afin de vous mettre à
même d'apprécier si un individu qui a de tels antécédents judiciaires peut
être maintenu dans les cadres de l'armée territoriale.
Agréez, Monsieur le Ministre et cher Collègue, l'assurance de ma haute
considération. Le
Ministre de l'Intérieur
Coustons"
"Gouvernement
Militaire de Paris - Etat-Major - Commissariat Spécial de Police. No.1101.
Paris, le 1er Mai 1889.
Renseignements
Mr. Feuillant Charles Etienne Xavier, Capitaine-Adjudant-Major à l'Escadron
territorial de dragons stationné à Joigny (5e région), demeurant à Paris rue
de Galilée No.25, sur la conduite duquel une enquête est demandée par
Monsieur le Ministre de la Guerre, est né à Paris le 13 juillet 1842, et s'y
est marié le 18 août 1881avec la fille du comte Potocki, dont il a deux
enfants.
Après la mort de son père dont il a gaspillé l'héritage, il a collaboré à
plusieurs journaux notamment au Gaulois et y a conservé des relations assez
étendues. Il a même contracté des dettes et vécu aux dépens de certaines
femmes galantes avec lesquelles il avait précédemment fait la noce.
Sa mère, qui lui avait consenti une rente, convertie en 1872 en une donation de
236,000 francs, comme équivalence de la dot donnée à sa sœur, étant
décédée il y a une dizaine d'années, lui a laissé une fortune d'une
certaine importance qui lui a permis de mener une existence moins bruyante.
Il était alors connu comme un dissipateur et un viveur effréné, mais depuis
son mariage ses ardeurs se sont calmées et sa conduite est devenue plus
régulière.
Le Commissaire de police"
"Paris,
le 8 Mai 1889
Le Général Saussier Gouverneur Militaire de Paris à Monsieur le Ministre de
la Guerre (Cabinet)
Monsieur le Ministre,
Par dépêche du 17 Avril dernier vous m'avez adressé, en communication, une
lettre de M. le Ministre de l'Intérieur concernant M. Feuillant, Capitaine aux
Escadrons territoriaux de Dragons de la 5e Région, en m'invitant à faire une
enquête sur la conduite de cet officier de l'armée territoriale.
J'ai l'honneur de vous transmettre, sous ce pli, les résultats de l'enquête à
laquelle j'ai fait procéder et de vous faire connaître, mon avis sur la mesure
qui pourrait être prise à l'égard de M. Feuillant.
Aucune des condamnations encourues par cet officier territorial, et énoncées
dans la lettre de M. le Ministre de l'Intérieur, ne rentre dans la catégorie
de celles, qui aux termes du Décret du 31 Août1878, sur l'Etat des officiers
de l'armée territoriale, entraînent de plein droit soit la perte du grade,
soit la révocation d'office.
La révocation de M. Feuillant ne pourrait donc être prononcée que sur l'avis
conforme d'un conseil d'enquête devant lequel il serait envoyé, en raison
de la nature du délit, pour la condamnation correctionnelle prononcée
contre lui en 1883. - Mais la condamnation dont il s'agit réduite à un mois de
prison est le minimum de la peine d'emprisonnement édictée par l'article 6 de
la loi du 7 juin 1848 sur les attroupements pour "provocation à un
attroupement non suivi d'effet".
D'autre part, les faits qui ont motivé cette condamnation remontent à 1883,
alors que le 26 Août 1885 M. Feuillant, qui avait atteint la limite du temps de
service exigée par la loi, était maintenu dans son emploi de capitaine de
l'armée territoriale.
Dès lors je pense qu'un conseil d'enquête ne saurait être convoqué pour se
prononcer sur des faits déjà connus et appréciés.
Il vous appartient donc de décider si, par application de l'article 1er du
Décret du 3 Février 1880, M. Feuillant sera, de votre part, l'objet d'un
rapport concluant à sa mise à la suite ce qui vous permettra de le rayer
aussitôt qu'il aura atteint la limite de son temps de service."
Xavier Feuillant sera placé à la suite le 18 Mai 1889, et
rayé des cadres le 26 Juin 1889.
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L'affaire
Dreyfus
Vous ne pensiez pas qu'après toutes ses
sorties, Feuillant manquerait à l'appel de la plus célèbre affaire
politico-militaire du siècle ?
Eu égard à ses antécédents, il n'est hélas guère étonnant de voir
où vont ses sympathies (ah, les mauvaises fréquentations !...).
On le retrouve donc félicitant
Esterhazy à la sortie d'une audience du procès Zola [32]
:
"Enfin, quand Esterhazy
parut avec Pellieux, une même acclamation les salua, mais l'enthousiasme
fut surtout pour Esterhazy: "Gloire à la victime du Syndicat !"
il se tenait à peine debout pendant que Pellieux pleurait. Ce n'étaient
pas seulement les braillards vulgaires à quarante sous qui
l'applaudissaient, mais les avocats, les journalistes, les officiers, des
femmes, emportées par la contagion ou par un vent de folie. Un ancien
officier l'embrassa : "Oh ! mon vieux camarade (4) !".
(...)
(4) Éclair : "C'est M. Xavier Feuillant, ancien sous-officier des
cuirassiers de la garde."
Je soupçonne ici la confusion entre
Cuirassiers et Chasseurs de la Garde - mais près de trente ans ont déjà
passé depuis l'Empire !
On le recroisera, cette fois-ci dans son rôle d'expert es-duels [33]
:
"DEPOSITION ESTERHAZY
du Lundi 23 janvier 1899.
(...)
Après le procès Zola, je voulus, de nouveau, provoquer une des deux
personnes dont j'ai parlé plus haut ; à ce moment je fus invité à
provoquer le colonel Picquart à qui je ne pensais pas du tout ; le
général Gonse en a parlé à Tézenas ; le général de Pellieux me l'a
dit à moi ; et Henry, que j'avais été voir, m'a dit textuellement cette
phrase : "Tous les cabots de la boîte (c'est à dire les généraux
de l'État-major) attendent que vous marchiez sur Picquart." je
répondis que ça m'était égal, et que puisqu'il le désirait, j'allais
me battre avec lui.
J'allai trouver mon camarade Feuillant (Xavier Feuillant, 12, avenue
Bugeaud) qui pourrait témoigner de ce que je vais dire. Feuillant me dit
: "il me faut un officier supérieur comme second témoin." Je
m'adressai à un officier d'État-major, on me fit dire (toujours du
ministère de la Guerre, plus haut que les autres) qu'on ne voulait pas
d'un officier d'État-major, et qu'il fallait que je prenne un officier de
troupe. J'objectai que je n'avais pas de camarade à Paris à qui demander
de m'assister dans une rencontre aussi grave."
|
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Du
duel
Xavier Feuillant, on l'aura compris, s'est
donc fait un nom dans le monde du Duel ; il semble un témoin très recherché,
et on prend en compte sa docte parole dans les tentatives d'établissement de
traités de duels, sommes de jurisprudences recueillies au fil du temps - et de l'épée
[38]
:
"Lettre adressée au Duc Féry d'Esclands par M. Xavier Feuillant.
Mon cher Duc,
La plus grande preuve d'estime qu'un homme puisse donner à un autre homme est
celle de lui demander de lui servir de témoin dans un duel, puisque, par ce
fait, il remet son honneur entre ses mains. Quel est le devoir du témoin qui
accepte une mission aussi grave, dont lui seul doit supporter toutes les
responsabilités présentes et à venir?
1° D'abord, il doit examiner avec son client les causes qui ont provoqué la
constitution de témoins, lui faire déclarer que tout ce qui sera réglé ou
décidé est accepté par lui d'avance, et ce, pour le bien de son
honneur.
2° Avec les témoins de la partie adverse, il doit tout tenter pour éviter
rencontre quand c'est matériellement possible, en sauvegardant l'amour-propre
des deux parties. A mon avis, on témoin doit éviter toute atteinte à la
dignité de l'adversaire, du moment qu'il le juge digne de croiser le fer avec
son client.
3° Si, malgré les efforts des témoins, un accord pacifique ne peut être
obtenu, il ne reste plus qu'a régler les conditions du combat. La cause étant
grave, le combat doit entraîner mort d'homme, ou, au moins, blessure
grave.
Le duel au pistolet ne doit jamais se terminer après un échange de balles sans
résultat, mais se continuer soit au pistolet, soit a une antre arme choisie à
l'avance. Il ne doit cesser que devant le résultat d'un des deux faits cités
plus haut (art. 3).
Le duel doit être tenu secret. En dehors des témoins et des chirurgiens,
personne n'y doit assister. Régler le duel à l'épée, au sabre, an pistolet,
de telle façon qu'il soit toujours très grave.
Vous arriverez ainsi, mon cher Duc, si ce n'est à le supprimer complètement,
— comme tel est, je le sais, votre ardent désir, — du moins à le rendre
bien moins fréquent.
Pas de piqûre d'épée à la main, pas d'échange de balles sans résultat pour
ensuite déclarer le combat clos. Je suis opposé à cette nouvelle
méthode.
Voilà, cher Duc et. ami, ma modeste opinion sur les questions que vous me
faites l'honneur de me poser.
Veuillez me croire votre très dévoué
X. FEUILLANT
11 juin 1900."
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La
fin de l'histoire
Xavier Feuillant décèdera le 10 Juin
1914 à Paris.
Le Figaro annoncera son décès
[34]:
DEUIL
C'est demain, à deux heures et demie, qu'auront lieu, à l'église
Saint-Honoré d'Eylau, les obsèques de M.Xavier Feuillant, ancien
officier de cavalerie, chevalier de la Légion d'honneur, décoré de la
médaille militaire, décédé à l'âge de soixante et onze ans.
Frère de la marquise de Contades et de la marquise de Miramon, il laisse
de son mariage avec la fille du comte Stanislas Potocki un fils,
lieutenant au 9e dragons, et une fille, Mlle Geneviève Feuillant.
Très attaché à l'Empire, il fut un des fidèles de Chislehurst, et
durant le boulangisme, il se montra un partisan ardent de cette cause.
L'inhumation se fera au cimetière du Père-Lachaise.
Le journaliste du Gaulois (certainement
l'ami Jollivet) proposera lui
un article assez irrévérencieux (et dont on notera les quelques
inexactitudes) - article qui lui aurait probablement valu une nouvelle rencontre au
petit matin avec l'intéressé...[39]
"UNE PHYSIONOMIE PARISIENNE.
M.Xavier Feuillant.
Une des physionomies les plus curieuses du Paris d'autrefois vient de
disparaître. On nous annonce que M.Xavier Feuillant est mort hier, à la
suite d'une attaque d'urémie qui avait miné depuis quelques temps sa
constitution d'homme de petite taille mais robuste comme l'acier.
Fils d'un Parisien élégant de la Cour de Charles X, qui à ses moments
perdus s'occupait d'affaires fructueuses et utiles, -les omnibus se sont
appelés de son nom "Feuillandines" sous la Restauration, -
Xavier Feuillant entre dans la vie avec une cuiller d'argent dans la
bouche, selon le dicton anglais. Très bien de sa personne, admis
aisément comme camarade par les plus brillants des "gandins"
parisiens, de par ses relations de famille et plus tard par le mariage de
ses deux charmantes sœurs, la marquise de Miramon et la marquise de
Contades, Xavier Feuillant n'eut pas une jeunesse de tout repos.
Surtout pour ses adversaire, sur un terrain de duel. Pas plus que pour
lui-même, du reste. Dans une de ses rencontres avec un Mexicain du nom de
Quevado, sa fougue immodérée de tireur inexpérimenté piquant devant
lui, lui valut - fait inouï, croyons-nous, dans l'histoire des duels,
-sept coups d'épée dans la figure.
Heureusement, cette combativité s'exerça sur d'autres champs clos que
l'île de la Grande-Jatte ou celle de la Grenouillère. Un beau matin,
Xavier Feuillant dit adieu à tous les Grands Seize, à tous les Grands
Six des restaurants à la mode, à tous les tours du Lac et à tous les
boudoirs de comédiennes. - Je m'engage, dit-il à ses camarades, aux
chasseurs d'Afrique, et je reviendrai mis à l'ordre du jour de
l'armée.
Il tint parole. Et s'il est vrai de dire que ses galons une fois rendus,
il tint surtout garnison dans le Paris du plaisir, 1870 le retrouva à son
poste de bon Français. Engagé au 9e Chasseurs à cheval dès le début
de la campagne, il ne voulut pas se laisser comprendre dans la
capitulation, s'évade, passe à l'armée du Nord, où il est vite fait de
franchir tous les grades inférieurs. Toujours le premier au feu, à
Bapaume il reçut, comme il disait pittoresquement, dans le ventre de son
cheval un obus qui le désarçonna :
- La seule fois que je suis tombé depuis le collège ! ajoutait-il avec
une pointe d'orgueil que justifiait sa renommée de cavalier hors de
pair.
Cette chute, qui le contusionna fortement, lui mérita la croix. Il était
capitaine. Comme simple soldat à Metz, il avait gagné la médaille
militaire. Il aimait à porter les rubans de ces insignes mariés l'un à
l'autre à sa boutonnière, comme faisait Napoléon III.
Napoléon III ! Feuillant, courtisan un peu affairé du malheur, ne cesse
après 1871 de passer la Manche dès que ce souverain fut en Angleterre
pour aiguiller l'Empereur déjà très affaibli à monter à cheval pour
reconquérir son empire. L'Empereur mort, il renouvelle ces incitations
pressantes auprès du Prince Impérial ; plus tard, auprès de Boulanger,
retiré à Jersey, avec cette réserve que ce n'était plus d'un cheval
qu'il s'agissait mais d'une péniche sur laquelle Feuillant se flattait de
ramener le général sur les rives de la Seine.
Pure folie, direz-vous. Peut-être ; mais la marotte des fous est souvent
un porte-bonheur pour leur entreprise. Bien des gens purent dire le jour
d'émeute où Feuillant se dirigea vers l'Elysée avec une bande de jeunes
enthousiastes, que la république n'en a pas mené très large.
A plus forte raison dans cette nuit historique où l'ancien soldat des
chasseurs d'Afrique adjura Boulanger de quitter le cabinet d'un restaurant
Durand pour marcher sur ce même Elysée. Des gens comme ceux-là il en
faudrait quelques-uns, disent quelquefois les sages.
De son mariage avec la fille d'un comte Potocki, Xavier Feuillant laisse
un fils lieutenant au 29e dragons, et une fille, Mlle Geneviève
Feuillant.
G.J."
Les obsèques seront suivies par une
large assistance [35]:
DEUIL
Hier, en l'église Saint-Honoré d'Eylau, ont été célébrée les
obsèques de M.Xavier Feuillant, ancien officier de cavalerie, chevalier
de la Légion d'honneur, décoré de la médaille militaire.
La levée du corps a été faite et l'absoute donnée par l'abbé Flynn,
second Vicaire de la paroisse. La messe a été dite par l'abbé Litter,
vicaire de la paroisse.
Le deuil était conduit par M.N.Feuillant, lieutenant au 19e régiment de
dragons, fils du défunt, et le général de Contades-Gizeux, commandant
la 2e brigade de cavalerie légère à Lunéville.
Dans l'assistance :
Duc de Noailles, duc de Montmorency, princesse Poniatowska, princesse
Louis Murat, prince et princesse Michel Murat, M. et Mlle Arthur Meyer,
comte et comtesse de Contades-Gizeux, princesse Malosen Khan, marquis et
marquise de Broc, comte et comtesse R. de Fracomtal, général Thomassin,
comte de Canclaux, Salih Munir pacha, comte Biadelli, comte de Chazelle,
M. Charles de Lesseps, M. C. du Tillet, vicomte de Clairval, M. et Mme
Thouvenel, baron et baronne de Flaghac, lieutenant-colonel Monteil, M.
Jean Biraud, M. Emile Schmoll, comte Fleury, M. Edmond Heate, général
Kirgener de Planta, M. O. de Latouche, Mme Charles Franconi.
MM. Pierre et Henri de Sainte-Marie, lieutenant de Gatines, Gallon et
Rupied, délégués par le 1er cuirassiers ; comte et comte de la Salle,
baron de Bourdieu, baron P. de Bourgoing, comte et comtesse de
Lapeyrouse-Vaucresson, Mme Edmond Dollfik, vicomte Portalès, vicomte et
vicomtesse de Boissieu, générale Faverot de Kerbrech, vicomtesse et Mlle
de Reiset, baron et baronne Faverot de Kerbrech, M. et Mme H.
Técaré, comte Waleski, comtesse de Vaugirard, M.A. De Bos, Mme de
Blargerie, vicomte et vicomtesse de Broisnis, lieutenant Hügel,
lieutenant de Saint-Didier, lieutenant Redelsperger, vicomte de Clairval,
etc.
Après la cérémonie religieuse, l'inhumation a eu lieu au cimetière du
Père-Lachaise.
Près de dix ans plus tard, le décès de Madame
Feuillant est à nouveau l'occasion pour Gaston Jollivet de citer quelques
anecdotes - encore teintées du mélange d'estime, de jalousie et
d'affection dans lequel il semble avoir trempé sa plume [40]
:
"XAVIER FEUILLANT
Mme Xavier Feuillant, qui vient de mourir, était la veuve d'un Parisien
bien agité. Avec lui la "copie" des reporters n'avait pas le
temps de chômer. Il la fatiguait à le suivre.
Peu d'existence d'oisifs ont été, en effet, aussi occupées. Les
provisions des divers collèges de Paris se l'étant, pendant des années,
renvoyé les uns aux autres, à partir du moment où il sut lire et
écrire, vers dix-huit ans, il ne lui restait plus qu'à s'engager, car il
rêvait d'être militaire comme Napoléon. Il prit juste le temps de faire
une centaine de mille francs de dettes et fila aux chasseurs
d'Afrique.
Là tout alla bien tant qu'il n'eut qu'à donner des coups de sabre aux
Arbis ; mais au bout de trois duels avec les camarades de son peloton, son
colonel le jugea indésirable, et, de permutations en permutations, la fin
de l'engagement étant arrivée, Feuillant reparut à Paris.
Il y retrouva ses créanciers. Il faut rendre cette justice à ceux-ci :
ils ne le quittèrent jamais, se contentant d'à-comptes espacés.
Constance méritoire ! La prison de Clichy, cet épouvantail des prodigues
et cette garantie des prêteurs, venait d'être fermée par l'Empereur,
qui commençait d'être libéral.
Joli garçon, bien pris dans sa petite taille, reconnu par la compétence
d'un Mackenzie Grieves ou d'un d'Evry pour un des meilleurs cavaliers du
Bois, Feuillant eut beaucoup de bonnes fortunes, même dans les milieux
où la fortune tout court n'est pas de refus. D'ailleurs divers héritages
lui mirent dans les mains plus que les trois bourses d'or de Rolin. Comme
il n'avait pas un train de maison à soutenir - il garda toujours une
chambre dans l'appartement de sa mère, rue Royale - l'argent de poche put
lui filer des doigts inépuisablement.
En quoi il aura été un second Sagan sans calquer ce prince des
élégances, car il tenait à sa personnalité. Une de ses
caractéristiques était de ne pas admettre qu'un seul des spectateurs des
fauteuils d'orchestre aux Variétés pût regarder et écouter Hortense
Schneider dans La Belle Hélène, Barbe Bleue, La Grande-Duchesse sans se
tuer à l'acclamer. Assis au second rang, après avoir donné le signal
des battements de mains, il se tournait brusquement à gauche, à droite,
derrière, pour savoir s'il était suivi. A l'entr'acte il retrouvait les
indifférents et parfois les morigénait. Il ramassa ainsi dans les
couloirs trois ou quatres duels, et aussi, il faut bien le dire, deux ou
trois refus d'aller sur le pré.
C'est ainsi qu'il dut se contenter d'une rixe à coups de poings avec un
mauvais coucheur, résolu qu'il était à ne pas se battre avec un chef de
claque.
Quelques-uns de ses
contemporains ont eut autant de bravoure que lui, mais pas nombreux. (Dans
la guerre de 1870 il a été un as). Aucun n'eut autant de toupet. Ce
qu'il obtint, grâce à ce don de nature, stupéfia tout le monde, à
commencer par cet ami qu'il battit en duel dans le grand-duché de
Luxembourg. On avait voyagé de nuit et débarqué de grand matin à Metz.
Un quart d'heure d'arrêt. Feuillant descend de wagon. Son ami le voit se
poster devant le chef de gare (Metz était prussien) et sans le saluer se
nomme en ajoutant :
- Je suis le fils de M.Talabot.
Talabot était alors (je ne sais même pas s'il n'était pas mort)
directeur du P.L.M. qui n'avait rien à voir avec Metz, ville de l'Est. Le
chef de gare, interloqué, laissa entendre en français correct que le nom
de Talabot ne lui disait rien. Feuillant fronça le sourcil, et d'une voix
coupante : - Par ordre du médecin, je dois prendre un tub tous les
matins. J'ai le mien dans le wagon aux bagages, faites-le descendre.
Que se passa-t-il dans le cerveau du fonctionnaire teuton ? Ce bout
d'homme imposant lui fit-il l'impression brutale, fascinante, qu'il avait
derrière lui toute l'armée française ? Toujours est-il que Feuillant
prit son tub dans la salle des premières, ouverte pour lui seul. Il n'en
sortit que dûment essuyé et frictionné par un homme d'équipe, pour
surveiller avec l'œil du commandement la rentrée de son tub dans le
wagon à bagages.
Cette facilité de fascination n'était pas moindre à Paris, sur les
populots. On sait qu'il précéda Louise Michel dans une émeute où il ne
savait pas exactement s'il avait à forcer des boutiques de boulanger ou
à les protéger, quand une escouade de sergents de ville vint la
disperser. Il s'en fallut d'un rien qu'il ne la jetât sur l'Elysée, lui
en tête.
Un charmant garçon, Xavier Feuillant. Il a laissé un fils qui a hérité
de ses qualités de bravoure et s'est distingué comme capitaine dans la
grande guerre."
Gaston Jollivet.
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