France
3e Hussards


Carte de Visite Atelier Disdéri à Paris
Sous-Lieutenant de Moncey en petite tenue


Le dos de cette belle photographie nous propose une fascinante légende : 
"Tué à l'ennemi le 7 8bre 1864 en chargeant à la tête de son Escadron.
Enterré dans le Cimetière de Djelfa entre ses deux hussards".

Elle nous renvoie à l'époque des guerres d'Afrique, où le 3e Hussards fut envoyé de 1861 à 1865.
Mais laissons Charles Albert Maugny, alors Lieutenant au Régiment, nous raconter ces pages d'aventures...
(in "Cinquante ans de souvenirs, 1859-1909")


"(...) Une année entière s'était écoulée de la sorte, sans autre fait de guerre qu'une lutte héroï-comique que cinq ou six d'entre nous avaient eue à soutenir, dans les gorges de la Ghiffa, contre une troupe de singes armés de pierres et de branchages et fort irrités d'être dérangés dans les ébats auxquels ils se livraient sur un arbre gigantesque, où ils s'étaient réfugiés pour prendre le frais.

Aussi commencions-nous à désespérer de faire sérieusement « parler la poudre » lorsque, au printemps de 1864, on apprit tout à coup qu'une insurrection venait d’éclater, qu’un détachement commandé par le colonel Beauprêtre avait été massacré et que l’hostilité ouverte d’un grand nombre de tribus, se propageant avec une rapidité foudroyante, menaçait de s'étendre aux trois provinces de notre colonie. Il a été établi depuis qu'à cette date l'armée d'Afrique, grâce à la campagne du Mexique qui absorbait le plus clair de ses forces, était absolument insuffisante et que sans l’énergie et la sagacité du général de Martimprey, gouverneur par intérim, nous aurions été probablement écharpés ou jetés à la mer avant l’arrivée des renforts, expédiés pourtant en toute hâte.
Je doute que l’on ait jamais su en France – le gouvernement excepté - combien, à ce moment-là, nous avons couru le risque de perdre l'Algérie. Dès la première heure, comme bien on pense, mon régiment avait quitté Blidah, pour être fractionné, suivant les besoins, dans les colonnes diverses envoyées dans toutes les directions. Expédition dans le Dahra, expédition chez les Flittas, expédition dans le sud, à travers le Sahara et le grand désert, jusqu'au Mezab : ce fut, pendant des mois, une marche ininterrompue et sans répit, sous un soleil de plomb dont la chaleur accablante n’était même pas accidentellement tempérée par une ombre absente dans ces parages. Coucher sous la tente et, à partir de notre entrée dans le Sahara, vivre le plus souvent de biscuit trempé dans de l'eau saumâtre, — quand il y avait de l’eau, - parcourir des kilomètres et encore des kilomètres à travers des solitudes immenses, à la poursuite d'un ennemi invisible, qui, selon sa tactique invariable, faisait le vide devant nous, espérer chaque jour l’atteindre sans y parvenir jamais, alors que nous le savions très proche, tel fut, jusqu'à la fin de septembre, notre sort.(...)

Au commencement d'octobre, nous étions toujours dans l'attente d'un choc qui nous paraissait imminent, ayant laissé en route plus d'un tiers de nos hommes, terrassés par les maladies et les privations, quand, le 7 au matin, nous eûmes enfin la satisfaction d'en venir aux mains. La veille, à la nuit tombante, nos éclaireurs indigènes avaient signalé la présence auprès d'Aïn-Malakoff, peu éloigné de notre camp, des tribus réunies du Essel-Math, des Ouled-Madi, des Ouled-Ferredj, etc...Sur-le-champ, le général Liébert, vieil Algérien, vigoureux et intrépide, décide de les surprendre et de les disperser dès la pointe du jour.
On nous réveille donc avant l'aurore, dans le plus profond silence ; on fait monter à cheval nos deux escadrons ainsi que les spahis de la colonne (160 cavaliers en tout) et nous partons, sous le commandement du lieutenant-colonel Collot, un Grand diable d’homme, solennel, guindé, méticuleux, qui, nouvellement venu de France et d’un régiment de grosse cavalerie, nous avait paru jusqu'alors un peu étonné de sa présence en Algérie. Il allait se montrer l’égal des plus réputés d'entre les Africains consommés. Nous avançons rapidement et, dans la demi-teinte du jour qui commence à paraître, nous apercevons confusément un rassemblement énorme, remuant et houleux, qui se dessine plus nettement à mesure que nous en approchons.

Quelque temps de galop encore et soudain, devant nous, assez rapprochés pour que nous les distinguions admirablement, jusque dans les détails, des contingents nombreux, à pied et à cheval, de formidable allure, qui nous attendent de pied ferme, enseignes déployées, et s'apprêtent à nous faire payer cher notre audace.
Une sonnerie de trompette, des commandements qui se perdent dans le bruit, et prompts comme l'éclair, nous chargeons tête baissée avec d'autant plus d’entrain que, depuis longtemps, nous brûlons d’en découdre.
A travers une fusillade des plus nourries, accompagnée de clameurs sauvages, nous franchissons en ouragan la masse des combattants et, derrière elle, les groupes moins denses des défenseurs du convoi, sabrant sans miséricorde, culbutant tout ce qui se trouve devant nous et mettant en fuite tout ce qui n’a pas succombé sous nos coups…
Ralliés tant bien que mal, nous nous déployons en tirailleurs et nous achevons à coups de fusil la déroute de l’ennemi. Quand arrive, au pas gymnastique, notre infanterie, le feu vient de cesser et le résultat est acquis.
Ce brillant fait d'armes mettait en notre possession 3 000 chameaux, 30 000 moutons, un millier de bœufs et de bêtes de somme, un grand nombre de tentes et d'objets de campement, une somme d'argent importante, représentant ensemble une valeur d’un million et demi, en chiffres ronds. Il eut dans les tribus un très grand retentissement et contribua puissamment à avancer l'heure de la pacification.
Mais nos pertes étaient cruelles. Quatre officiers sur huit avaient été atteints plus ou moins grièvement. Au plus fort de la mêlée, le lieutenant de Moncey, petit-neveu du maréchal de ce nom, était tombé héroïquement, pour ne plus se relever, tandis que deux hussards se faisaient hacher sur son corps horriblement mutilé. D'Aubigny, Parent, de Girardin, ce dernier tout frais émoulu de Saint-Cyr, étaient blessés et transportés à l'ambulance."


Adolphe-Charles-Edouard-Eugène JANNOT DE MONCEY est né le 29 Janvier 1832 à Paris, le fils d'Edme-François-Hélène et de Louise-Jeanne BLANC.

Il est engagé volontaire au 2e Cuirassiers le 29 Octobre 1852 ; il y passera Brigadier le 5 Mai 1853 et Maréchal-des-Logis le 16 Juin 1854, étant promu Sous-Lieutenant le 13 Août 1857.

Il permute au 3e Hussards et arrive à son nouveau corps le même jour.
Il est détaché à l'Ecole Impériale de Cavalerie de Saumur comme Officier d'Instruction à compter du 1er Janvier 1859 - rentrant au corps le 15 Septembre 1860 - c'est certainement à cette occasion qu'est prise cette
superbe photo de la collection de Jérôme Discours.
Il y obtiendra le No.38 sur 51 élèves.

Il partira pour l'Afrique le 14 Septembre 1861 - et n'en reviendra plus (Notre portrait est donc antérieur à cette dernière date).
Il passera Lieutenant en Second le 17 Janvier 1863. 
Après le combat, les colonnes Liébert, Guiomar et Margueritte quitteront Aïn-Malakoff le 9 Octobre, rejoignant Djelfa le lendemain, où elles assisteront aux funérailles du Lieutenant de Moncey.

L'Annuaire de la Noblesse Française de 1865 précise qu'il avait 29 ans, et qu'il est "tombé frappé de deux balles en chargeant à la tête de son escadron".