France
Chasseurs à Cheval de la Garde Impériale


Carte de Visite, Studio Clavel à Valence
Adjudant Bühler


Charles-Frédéric BÜHLER est né le 26 Janvier 1828 à Stains (Seine). Il est le fils de Charles-Frédéric, jardinier, et Anne Sirée PREVOT.

Il signe pour 7 ans au 4e Hussards le 11 Avril 1848 à la Mairie du 10e arrondissement de Paris. Il arrivera au Corps le 26 Avril - le régiment vient de prendre quartier à Lunéville.

En Mai 1849, le 4e Hussards ira prendre quartier à Sedan, Givet et Rocroy. En décembre 1850 il se rendra à Haguenau - dont il partira en septembre 1851 pour se répartir entre Béziers, Montpellier, Lunel et Avignon.

L'hiver 1851 est troublé par le coup d'état du Prince-Président. Bühler se verra compter des services de campagne au titre de la 10e Division Militaire. L'Historique du 4e Hussards relate : " A Béziers, le lieutenant-colonel de Montfort fut obligé de charger dans les rues de la ville pour dissiper les bandes qui venaient assaillir la sous-préfecture. Autour d'Avignon, le régiment fut chargé de fournir des patrouilles qui eurent plusieurs fois avec la population soulevée des rencontres dans lesquelles le sang coula. "

Bühler est nommé Hussard de 1ère Classe le 19 Septembre 1852 - et presque immédiatement Brigadier, le 3 Octobre. En novembre, le régiment fut envoyé à Castres (avec un escadron à Toulouse).

Bühler prendra les fonctions de fourrier le 16 Mai 1854. Une semaine plus tard, le 23, le régiment reçoit l'ordre de se rendre à l'armée d'Orient.
" Les quatre premiers escadrons sont mobilisés aussitôt et se mettent en route pour Marseille le 31 à l'effectif de 33 officiers, 667 sous-officiers et cavaliers. Les officiers seuls conservèrent leurs chevaux, les hommes devant être remontés en chevaux turcs. Le 11 et 12 juin, le régiment est embarqué à bord de " l'Euphrate " et du " Caire " et arrive à Gallipoli après une bonne traversée. "

Bühler, qui vient d'être promu Maréchal des Logis (le 7 Juin), n'est pas du départ. Il n'attendra pas longtemps toutefois, embarquant le 7 Juillet - le régiment est alors campé en Bulgarie, sous Varna, où il subit les terribles affres du choléra.

Le régiment enverra successivement ses escadrons en Crimée depuis la Bulgarie, en Septembre (3e), et Octobre (2e), n'étant réuni devant Sébastopol qu'en mars 1855.

Bühler re-signe pour deux ans le 11 Avril 1855. Le 4e Hussards n'a guère l'occasion de s'illustrer durant cette usante guerre de siège, ne prenant part qu'à quelques reconnaissances sur les bords de la Tchernaïa.

Cela changera après la prise de Sébastopol. Le 4e Hussards embarque à Kamiesch le 23 septembre et débarque à Eupatoria le 25, où il se met sous les ordres du Général D'Allonville. Dès le 29 septembre, le régiment trouvera enfin l'occasion de s'illustrer, chargeant les Russes lors de la brillante affaire de Kanghil.

Après un nouvel hiver très rude, la paix sera conclue le 30 Mars 1856. Le 4e Hussards rembarquera pour la France après avoir livré ses chevaux aux gouvernement Ottoman à Constantinople.

Bühler débarque en France le 14 Juillet 1856. Il recevra la "Médaille de S.M. la Reine d'Angleterre", plus connue sous le nom de Médaille de Crimée, qu'il arbore sur ce portrait photographique. Les six escadrons seront enfin réunis à Castres le 17 Août 1856 - le régiment sera récompensé de sa belle campagne par la garnison très prisée de Paris, où il monte en Octobre suivant.

Bühler rengage pour 5 ans le 14 Février 1857. Il deviendra Maréchal-des-Logis Fourrier le 22 Octobre suivant - fonction qu'il occupera durant un an et demi avant d'être remis Maréchal-des-Logis le 10 Mai 1859. Entretemps le régiment s'était rendu à Maubeuge ; en octobre il partira pour Rouen, avant de redescendre sur Tarascon et Marseille, en Mars 1860.

Bühler, qui n'est pas de la fraction du régiment envoyée en corps d'occupation à Rome, est décoré de la Médaille Militaire le 24 Septembre 1860 (pour prendre rang du 8).

Il est remis sur sa demande Hussard de 2e Classe le 22 Mars 1862, certainement pour pouvoir prétendre au Congé renouvelable qu'il prend ce jour, ayant été nommé à un emploi de garde forestier sédentaire de 2e classe.


Il ne restera pas bien longtemps à la vie civile : il se rengage pour 7 ans le 11 Octobre 1862 à la mairie de Draguignan (Var), cette fois-ci au sein des Chasseurs à Cheval de la Garde Impériale, régiment qui avait été créé en 1856 sur la base de la Cavalerie Légère de Crimée. Il arrive au Corps le 14 Octobre.

Il est alors ainsi décrit : Taille d'un mètre 680 millimètre Visage ovale Front haut, yeux châtains, nez fort Bouce grande, menton rond, cheveux et sourcils blonds.

Il y regagnera vite ses anciens galons : promu Brigadier le 17 Janvier 1863, Brigadier fourrier le 26 Février, Maréchal-des-Logis le 22 Mars, et Maréchal-des-Logis Fourrier le 25 Avril.

Il deviendra Maréchal-des-Logis Chef Moniteur Général des Ecoles le 9 Janvier 1868. Il rengage pour 4 ans le 18 Février 1869. Il devient enfin Adjudant Vaguemestre le 25 Mars 1870.

Il participe avec son régiment à la Campagne contre la Prusse, à compter du 21 Juillet 1870. Les Chasseurs de la Garde font partie de l'Armée du Rhin, qui deviendra trop vite celle de Metz - ils seront compris dans la capitulation de cette place-forte, et Bühler devient Prisonnier de Guerre le 29 Octobre.

Il ne se résout pas à ce sort et s'évade "des prisons de l'ennemi". Dans son "Histoire des chemins de fer français pendant la guerre franco-prussienne", Alfred Auguste Ernouf nous raconte :
"(...) M. Bühler, vieux soldat de Crimée et du Mexique (sic!), en dernier lieu maréchal des logis chef (re-sic!) aux chasseurs de la garde, s'était échappé, après la capitulation de Metz, du camp prussien d'Ars-Laquenexy sous une grêle de balles."


Bühler rejoint alors les rangs des Francs-tireurs qui s'ingénieront à compliquer la vie des Prussiens.
Il y campe une figure singulière, ainsi que le raconte Eugène-Désiré-Edouard SERGENT dans son "Armée de l'Est" :

"A Lamarche. - La petite ville de Lamarche, devenue, ainsi qu'on l'a vu plus haut, un centre d'où rayonnaient nos courageux partisans, empêchait, à Neufchâteau, les Prussiens de dormir; aussi avaient-ils résolu d'en finir avec " ce repaire de bandits et d'assassins ". Bientôt l'on sut par les paysans des environs qu'une attaque contre la ville était imminente et l'on se tint sur ses gardes.

Le 9 décembre, arrive à Lamarche, où la compagnie Coumès est déjà de retour de Langres, avec son effectif porté à 80 hommes, une petite troupe de partisans (30 hommes) commandée par le lieutenant Buhler, ancien adjudant vaguemestre des chasseurs à cheval de la garde, évadé de Metz.

A titre de détail pittoresque, voici quel était l'accoutrement de ce vieux brave. " Il était, dit Coumès, en uniforme d'adjudant de chasseurs à cheval de la garde, sauf qu'il portait des chaussons et des sabots en place de bottes, qu'il avait un long pardessus d'hiver bourgeois en drap marron et un chapeau mou gris, à larges bords, comme un mousquetaire.

Le 10, Coumès parvient à organiser une patrouille de cavalerie qui va reconnaître l'ennemi. Sa composition mérite également d'être donnée.
1e Buhler, en tenue de chasseurs de la garde, bonnet de police et sabre d'officier supérieur d'infanterie, monté sur un des deux chevaux de Coumès pris aux Prussiens ;
2e Deux gendarmes à cheval dont un brigadier en tenue de campagne, requis à Bourbonne ;
3e L'ex-carabinier Barrat, armé du sabre d'un gendarme en retraite, et d'une carabine à la grenadière ; monté sur un très bon cheval ;
4e M. Munich, de Vittel, chasseur à courre émérite, armé d'un couteau de chasse de garde général, d'un fusil de chasse et d'un pistolet; le pantalon dans de grandes bottes, comme Barrat, vareuse de moblot et ceinture rouge. Montant un de ses chevaux.

Cette patrouille va jusqu'à Frain, échange des coups de pistolet avec les éclaireurs ennemis et renseigne parfaitement nos officiers.

Le même jour, un conseil de guerre est tenu à Lamarche et se prononce pour la résistance à outrance. La nuit se passe à copier et à envoyer les ordres pour le combat du lendemain. En voici la substance.

A trois heures du matin, Buhler avec 30 hommes, ira se poster près du bois de la Fourrée pour attaquer les Allemands qui voudraient traverser le bois. A trois heures et demie, un détachement de la compagnie Coumès sous les ordres du sous-officier Sire, prendra position à la Tuilerie. Quand les partisans Buhler auront commencé le feu, la section du sergent Sire se portera à son secours et se déploiera à sa gauche. La compagnie Coumès, postée à mi-chemin entre les bois de la Fourrée et Lamarche, se tiendra prête à se porter ou le besoin s'en fera sentir. La compagnie Bernard, disséminée des deux côtés de la route de Mirecourt, s'opposera aux mouvements tournants que pourrait tenter l'ennemi. La compagnie Grégoire, voltigeurs de Saint-Dizier, gardera la ligne de retraite.

Le Combat. - A dix heures, le cri " aux armes ! " retentit dans Lamarche. Les Prussiens sont signalés au nombre de 1.200 fantassins, 50 cavaliers et 5 pièces d'artillerie. Nous avions de notre côté, en ajoutant aux forces énumérées plus haut les guides forestiers et quelques mobilisés revenus de leur frayeur du 4 décembre, environ 300 hommes. Ne pouvant donner ici in extenso, le récit du combat tel qu'il se trouve dans les notes du commandant Coumès, nous le donnerons d'après le résumé qu'en a fait le garde général Rambaux dans son opuscule déjà cité. " Je vais, dit le lieutenant, résumer les divers incidents de cette lutte acharnée où, durant trois heures, une poignée de braves ont tenu en échec un corps prussien nombreux et bien armé. C'est un des plus beaux épisodes de la défense des Vosges... " Les Prussiens pénétrèrent dans le bois de la Fourrée par la route de Mirecourt, point où devait se trouver le lieutenant Buhler, avec ordre de résister jusqu'à l'arrivée du poste de la Tuilerie et des autres compagnies. Mais, par suite de circonstances regrettables, ce lieutenant, supposant que l'attaque aurait lieu plus à droite, non loin d'un petit bois isolé, avait cru devoir modifier sa place de bataille et s'était porté vers le point qu'il croyait menacé. " Aussi, quand l'ennemi arriva par la route de Mirecourt, essaya-t-il vainement de courir à son premier poste; il fut promptement débordé par des forces considérables et dut se replier, après un échange de quelques coups de feu, abandonnant ainsi la forêt aux Prussiens qui s'y ruèrent en masse et l'occupèrent avant que nos troupes, mandées en toute hâte, mais trop tard, y fussent arrivées. " C'était un début malheureux, car il donnait à nos adversaires l'avantage de la position. "

Mais, loin de se décourager, Bernard et Coumès rallient leurs hommes, les disposent parallèlement à la ligne ennemie, derrière les buissons et les accidents du sol, et occupent respectivement le mont des Fourches et le mont Saint-Etienne qui dominent tout le terrain environnant.

Alors commença un combat furieux et opiniâtre. Une fusillade terrible s'engagea de part et d'autre; les Prussiens essayèrent de nous accabler sous le nombre en faisant avancer d'énormes colonnes, tous leurs efforts échouèrent devant la barrière de feu qui leur était opposée.

" Vingt fois, ils tentèrent de s'élancer hors du bois, vingt fois ils durent reculer avec des grandes pertes. A la fin, cependant, ils purent s'approcher davantage, mais les Français, se démasquant tout à coup, se précipitèrent sur eux en criant : " à la baïonnette! ". Ce cri seul produisit dans leurs rangs une véritable terreur et leur fit effectuer un mouvement de recul de plus de 100 mètres ". C'était le capitaine Bernard qui avait eu l'initiative de cette charge audacieuse et heureuse; le lieutenant Coumès, son émule en courage, le reconnaît lui-même expressément.

Cependant le nombre des ennemis croît sans cesse, les forces des nôtres s'épuisent, les munitions commencent à leur manquer. De plus, on signale un mouvement de la cavalerie ennemie qui veut tourner le mont des Fourches. Il faut reculer sous peine d'être entouré et pris. Coumès et Bernard se replient sur Lamarche qu'ils traversent en enlevant une partie du matériel, pendant que les voltigeurs de Saint-Dizier et les gardes forestiers, se déploient à leur tour et tiennent l'ennemi en respect.

" Le combat des Fourches, dit M. Rambaux, fut excessivement meurtrier pour les Prussiens. Craignant une surprise que pouvaient faciliter la neige et le brouillard, ils ne s'avançaient qu'en colonnes serrées et nos feux de peloton, bien dirigés par le lieutenant Coumès, y faisaient d'horribles trouées. "

La perte de l'ennemi fut évaluée à 180 hommes hors de combat. Les habitants, à vrai dire, ne purent compter les morts et les blessés gisants sur le terrain, car les Allemands ne leur permirent l'accès du champ de bataille que le lendemain; mais ils virent se diriger sur Epinal " cinq énormes voitures remplies de blessés. " Nous avions nous-mêmes eu 30 hommes, hors de combat mais nous avions pu ramener à Lamarche tous nos blessés. Ils allaient être soignés à l'hospice d'une façon des plus touchantes, sous la direction du bienfaisant M. de Bourgogne.

La Retraite. - Notre retraite se fit d'abord par la route de Langres, mais au Bois-le-Seigneur, après un ralliement à la maison Duc, nous tournions à droite et gagnions par Tollaincourt et Recourt, le camp de la forêt de Boëne (camp de la Vacheresse ou de la Délivrance), où l'on arriva à neuf heures du soir.

Il y avait 50 centimètres de neige, et le froid était des plus rigoureux. Le forestier Griselin, étant en sentinelle, eut un pied gelé; on se coucha abrité tant bien que mal, dans les deux maisons forestières Boëne et Chaudot.

Les vainqueurs, là comme à peu près partout, manquèrent complètement de hardiesse. Ce n'est qu'une heure après le départ de nos soldats " et en usant de mille précautions, qu'il pénétrèrent dans la ville " (Rambaux). Ils avaient tellement peur d'exaspérer cette patriotique population qu'ils n'osèrent pas renouveler à Lamarche les horreurs de Rambervilliers; ils se bornèrent à des pilleries et à quelques mauvais traitements envers les habitants. Ils imposèrent toutefois à la ville une contribution de guerre de 300,000 francs.

Dûment persuadés que nos troupes s'étaient retirées sur Langres, quand ils vinrent à apprendre, le lendemain 12, au matin, qu'il y avait des forces françaises dans les bois de la Boëne, ils ne se doutèrent pas que c'étaient celles qu'ils avaient repoussées la veille et se crurent tombés dans un traquenard.

A cette nouvelle, une panique véritable s'empara d'eux et ils détalèrent dans la direction d'Épinal avec tant de précipitation " qu'ils n'achevèrent pas le repas qu'ils venaient de commencer, que des 300.000 francs exigés la veille, ils se contentèrent de 5.528 francs ; que le commandant lui-même oublia sur sa table de nuit ses bijoux et sa bourse " (Rambaux). Ils ne devaient plus reparaître dans la brave petite ville qu'à l'époque de l'armistice.

(...) Ruses Déloyales. - Dans le récit de Coumès, nous retrouvons consignées les différentes ruses déployées par nos chevaleresques ennemis, et dont nous avons déjà eu si souvent l'occasion de parler. Ce sont des cris de : En avant ! ou des sonneries françaises de clairon qu'ils font entendre dans le brouillard, pour nous tromper ; puis c'est cette variante du fameux coup de la crosse en l'air.

Coumès est demeuré seul avec sa poignée d'hommes, sur le versant occidental du Mont-des-Fourches dont le sommet est occupé par des troupes qui peuvent aussi bien être des Français que des Allemands, car le ciel brumeux ne permet pas de distinguer nettement ce qu'il en est.

" Tout à coup, dit l'officier, le brouillard s'étant presque entièrement dissipé, des signes nous furent faits d'en haut, et comme des invitations à venir nous joindre à ceux qui couronnaient le sommet. Je ne doutais pas que ce ne fussent des tirailleurs Buhler, laissés en observation, qui nous demandaient notre aide... Je fis donc faire par peloton à droite, en recommandant âmes hommes de ne pas se presser pour ne pas arriver essoufflés; la pente étant très raide et la neige épaisse. Mais nous n'avions pas fait cinquante pas, que nous reçûmes une grêle de balles. Ceux qui nous faisaient signe d'approcher n'étaient autres que des chasseurs prussiens : nous les reconnûmes à leurs brandebourgs noirs. "

Tiré du même ouvrage, régalons nous de la pittoresque description de ce camp de Boëne, repaire des Francs-Tireurs :

"Le Camp De Boene. - Avant de quitter nos partisans pour parler de la malheureuse affaire du 50e à Longeau, donnons, d'après M. Rambaux, quelques détails sur le camp de Boene, de la Vacheresse ou de la Délivrance, car c'est de là que partiront ultérieurement d'autres expéditions, entre autres celle du Pont- de-Fontenoy. Cette installation militaire en plein pays occupé, n'est pas, du reste, une des choses les moins honorables de cette campagne, et il y a sans doute bien peu de Français aujourd'hui qui connaissent cette création hardie et vraiment curieuse. " Son emplacement, nous l'avons dit, avait été choisi au centre d'un vaste plateau, élevé de 60 mètres, bordé de pentes abruptes et environné des villages de Sauville, Rozières, Villotte, Martigny, Crainvilliers et la Vacheresse.
" Ce plateau est couvert en entier par une forêt de 3.000 hectares, dans laquelle on admire le fameux Chêne-des-partisans, ce colosse végétal dont l'âge se compte par siècles et dont cinq hommes peuvent à peine embrasser le tronc. - Par une singulière coïncidence, c'est déjà autour de cet arbre que venaient se réunir, il y a plus de 200 ans, les partisans lorrains chargés d'inquiéter les troupes ennemies qui assiégeaient l'importante ville de la Mothe, où Turenne fit ses premières armes comme capitaine à la tête d'une compagnie d'infanterie.
"Le camp proprement dit couvrait une surface de 9 hectares, dont le quart environ fut défriché pour servir d'emplacement aux baraques et au champ de manœuvre. Il était entouré d'une enceinte palissadée et d'un chemin de ronde ; la route forestière qui le traversait était défendue par un blockhaus, par des bordures latérales en palis, par des talus, fossés, abatis d'arbres, etc...
" A l'intérieur, on trouvait une construction en maçonnerie 'la maison forestière de Boëne) où étaient installés l'état-major, l'intendance et les magasins, puis, tout autour, de nombreuses baraques en planches et en perches, pour loger les troupes et les divers services.
" Enfin, pour terminer cette description, j'ajouterai que, sur toute la lisière de la forêt, à l'entrée des chemins, on avait établi des avant-postes, dont l'un, celui de la maison forestière du Creuchot, pouvait donner asile à une compagnie entière. " Le maintien de la discipline était le souci constant de nos braves officiers.
" Plusieurs cambusiers, lit-on dans les notes du lieutenant Coumès, vinrent nous assiéger comme des moustiques demandant l'autorisation de débiter des boissons dans le camp ; ils voulaient installer une espèce de cantine. Nous n'y consentîmes jamais et nous veillâmes soigneusement à ce qu'il ne s'introduisit jamais de pareils dissolvants.
" Nous avions interdit la chasse dans la forêt de Boëne, pour ne pas occasionner des alertes inutiles. Cependant on tua, un jour, deux sangliers dont les hures ornèrent la table de l'état- major du camp, accommodées par une bonne femme que nous avions prise pour cuisinière, en considération de la captivité de son mari, qui avait été fait prisonnier par l'ennemi. En outre des étrennes de toute sorte et des objets de vaisselle, nous lui donnions un traitement fixe de 50 francs par mois et nous la nourrissions.
" De grands feux de sapin entretenaient la salubrité, tout en égayant nos soirées, et c'est autour de ces grands feux que nos officiers faisaient aux jeunes soldats des théories sur le service des places et le service en campagne. Tout l'emploi du temps était réglé par une ordonnance que je rédigeai d'après mes souvenirs militaires. Il fut affiché dans les baraques et les gourbis, et M. Rivaux, ancien quartier-maître et ex-maréchal des logis de hussards, fut chargé, sous le titre d'adjudant de place, de présider à son exécution. C'est lui, qui, chaque jour, à l'appel de midi, lisait de sa voix magistrale les ordres du jour, décisions ministérielles ou condamnations militaires rendues par les cours martiales. On n'omettait jamais la liste des exemples de dévouement ou d'annonce des succès capables de soutenir le patriotisme... " (...)

Bühler enreprendra ensuite avec sa petite troupe une ...marche sur Nancy (!), ainsi relatée par Ernouf (op.cit.) :

"La petite compagnie Bühler, qui, le 10 décembre précédent, avait prêté main forte, à Lamarche, aux partisans des Vosges et fait sa retraite à part, était revenue le 7 janvier dans cette localité, juste au moment où l'on y apprenait le mouvement de l'armée française de l'Est.
Sous l'impression de cette nouvelle, Bühler s'était déterminé de suite à faire une démonstration sur Nancy. Il avait été encouragé dans ce projet aventureux par deux membres du comité de la défense des Vosges, qui lui donnèrent imprudemment à entendre qu'il ne pouvait manquer d'être bientôt appuyé par l'expédition contre les communications allemandes, qui allait enfin s'ébranler. M. Bühler se mit donc en marche, ou plutôt prit sa course avec sa petite troupe, d'une telle vitesse qu'il était arrivé à sept kilomètres de Nancy avant que l'expédition ne fût en mouvement. Il ne la rencontra qu'à son retour, et encore fort loin de la Moselle.
L'apparition de cette poignée d'éclaireurs produisit une panique incroyable sur les Prussiens à Nancy. On fit à la gare des préparatifs non équivoques d'évacuation; il y avait des sentinelles jusque sur les toits. La troupe qui causait tout cet émoi se composait en réalité... de vingt-deux hommes!
Un grand nombre des habitants de cette ville et des environs crurent alors, et ont cru longtemps, que la destruction de Fontenoy avait été opérée par les éclaireurs qui étaient venus peu de jours auparavant si près de Nancy.
Cette troupe était la seule qu'on eût vue de jour dans ces parages ; de plus, Bühler, qui avait séjourné quelque temps à Nancy après son évasion de Metz et y connaissait plusieurs personnes, leur avait fait parvenir l'avis de ne pas se servir du chemin de fer, sur lequel une catastrophe était imminente.
Cette marche sur Nancy avait été entreprise trop précipitamment, mais elle dénotait une rare audace, et son souvenir mérite d'être conservé."

Cette audacieuse initiative viendra contrarier d'autres plans en cours - comme on le lit dans la relation de l'expédition du Pont de Fontenoy (Sergent, op.cit.) :
"Mais la plus belle action de guerre du mois de janvier, dans le rayon de la place de Langres, et l'une des plus mémorables de toute la compagne, c'est celle à laquelle nous avons hâte d'arriver, c'est la glorieuse expédition du pont de Fontenoy.
La destruction du pont de Fontenoy, effectuée trop tard pour avoir une influence quelconque sur l'issue de la guerre, n'en est pas moins une opération de partisans des plus remarquables ; non seulement elle est glorieuse, mais elle a été exécutée avec une science des détails de la petite guerre qui en fait un des épisodes les plus intéressants de cette malheureuse campagne.
Un officier en fut l'âme, le capitaine Coumès, bien qu'il ne commandât pas en chef l'expédition. C'est, en effet, grâce à ses connaissances militaires que le programme en put être tracé et à son heureuse audace qu'elle a dû, en grande partie, sa réussite. Le rapport de ce vaillant officier était donc le document le plus précieux que nous pussions désirer pour nos lecteurs. Or, le voici, inédit encore et tel que Coumès l'adressa de Bulgné - ville au général commandant supérieur de Langres, le 27 janvier 1871. A peine en retranchons-nous, faute de place, quelques passages.
" Mon général, " Vous m'avez demandé un rapport beaucoup plus détaillé que celui que je me suis déjà mis en devoir de vous faire tenir par exprès, dès le 23 courant, sur l'opération ayant pour objet la destruction de la principale des armées allemandes, j'ai l'honneur de vous adresser la relation suivante : Composition De La Colonne. - Par suite des mesures concertées entre le commandant supérieur de Langres et le comité de défense des Vosges, présidé par M. le sous-préfet de Neuf- château, la colonne expéditionnaire comprenait au départ :
1e Trois petites compagnies du bataillon dit de l'Avant-garde de la délivrance, respectivement commandées par MM. les capitaines Adamistre, Mallière et le commandant Rivaux;
2e Les sections franches Richard et Magnin, que vous m'avez adjointes à partir du 11 de ce mois ,
3e Ma compagnie de partisans (chasseurs des Vosges) ;
4e Le 4e bataillon de mobiles du Gard ;
5e Quelques éclaireurs à cheval ;
6e Un convoi formé d'une demi-douzaine de voitures ou charrettes du pays et quatre chevaux de bât pour le transport de l'outillage, des munitions et de certains approvisionnements;
7e Une brigade de gendarmes non montés, pour le service de la prévôté et des sauvegardes ; soit, en tout, environ 1.150 hommes et 30 chevaux, dont 13 de selle.
Nos hommes étaient munis, chacun, de trois ou quatre paquets de cartouches, d'un peu de pain et de biscuit et d'un morceau de lard portés dans une musette.

Rassemblement. - Le 18 courant, à quatre heures du soir, je partis du camp de la Boène, où était concentrée la majeure partie de l'Avant-garde de la délivrance, avec ma compagnie, les compagnies ou sections Adamistre, Richard et Magnin, et je les conduisis jusqu'à Vaudoncourt, où devait nous joindre le Bataillon du Gard, que, dans la journée, le commandant Bernard était allé chercher à Lamarche et Rôcourt, accompagné des éclaireurs à cheval. Ce bataillon n'était, en effet, commandé que par son plus ancien capitaine, M. Renaud. En passant à la Vacheresse, j'y ralliai la compagnie Mallière. Les compagnies du camp et le bataillon du Gard firent leur jonction vers neuf heures du soir.

En Marche. - La colonne expéditionnaire se trouvant ainsi réunie, sous le commandement général de M. Bernard, suivit, jusqu'à Fontenoy-sur-Moselle, l'itinéraire ci-après, dont voici les principaux points :
Camp de Boëne ; Vaudoncourt ; Châtenois ; Attignéville; Ferme de la Hayevaux ; Ferme de Saint-Fiacre; Pierre-la-Treiche ; Fontenoy.

Il va sans dire qu'on évitait, autant que possible, de traverser ces diverses localités, pour ne pas donner l'éveil. De Vaudoncourt, où l'on s'arrêta près de trois heures, le commandant Bernard mit toute la colonne en marche, les " compagnies de la Délivrance " précédant le " bataillon du Gard ".

On observait l'échelonnement de précaution ordinaire (éclaireurs, avant-garde, colonne principale, flanqueurs, arrière- garde, etc...). C'est ainsi que, de Vaudoncourt à la Hayevaux, je commandais celle-ci, formée de ma compagnie et de la compagnie Adamistre.

On passa à l'ouest d'Aulnois, d'Ollainville, de Darney-aux- Chénes, de Longchamps-sous-Châtenois, enfin à Châtenois où l'on fit une halte. Le commandant Bernard nous avait devancés, avec quelques membres du Comité, pour aller reconnaître le gîte et préparer les vivres. Le soin me fut laissé d'amener la colonne jusqu'à la première étape.

Un Trouble-fÊte. - J'appris à Châtenois, par le maître de l'auberge où venaient de souper les officiers de mobiles du Gard, que, le matin, un fort détachement d'infanterie et de cavaliers allemands était venu dans ce bourg, et que l'adjudant Buhler s'y trouvait caché dans le moment, avec sa section de partisans.

La présence en ce lieu de soldats de notre parti pouvait avoir, au point de vue du secret de notre marche, des avantages ou des inconvénients : je fis mander M. Buhler.

Cependant, il fallut se remettre en route. Nous voulions éviter de traverser Attignéville, mais, à cause du convoi qui, mal attelé, suivait péniblement, l'arrière-garde fut obligée de traverser ce village. Elle y fit même une halte assez longue, car elle y resta une heure.

Pendant cette halte à Attignévilie, M. Buhler vint se présenter à moi. Il était porteur d'instructions écrites du général commandant supérieur de Langrès, qui le mettaient à mon entière disposition; mais je n'en avais pas été informé. Il m'exposa, qu'on l'avait envoyé, pour occuper l'attention de l'ennemi, entre Chaumont et Neufchâteau, pendant que la colonne opérerait beaucoup plus à l'est de ce dernier point, dont la garnison était relativement nombreuse.

Effectivement, je vous avais demandé, mon général, quelques jours auparavant, de vouloir bien faire agir M. Buhler de façon à distraire l'ennemi de notre expédition. .Je jugeais, toutefois, qu'il était présentement en train de dépasser ses instructions, en se disposant à aller dans la région située le long de la ligne du chemin de fer entre Nancy et Toul " où, m'a-t-il dit, il venait de jeter une grande perturbation. "

Je conclus que M. Buhler, n'étant point initié aux combinaisons de notre entreprise, pouvait plus nous nuire que nous servir et que, conséquemment, il était inutile qu'il y participât. Je l'invitai donc à s'abstenir de tout enchevêtrement sur notre terrain d'opérations et à s'en aller plutôt manœuvrer dans une direction toute opposée, c'est-à-dire du côté de Chaumont.

A La Hayevaux. - L'arrière-garde quitta Attignéville à sept heures du matin, et put rejoindre le gros de la colonne à la grande ferme-école de la Hayevaux, sur la route de Nancy, à 11 kil. ôoo au N.-E. de Neufchâteau et à la lisière O. du bois de Boinville, vers neuf heures et demie du matin. La colonne avait traversé les bois d'Attignéville et de la Gâte- folle et ses cavaliers avaient poussé une pointe vers la Meuse, à hauteur de Domrémy.

On séjourna à la Hayevaux, du 10 au matin au 20 au soir. JI était en effet de toute nécessité, après une marche de 40 kilomètres, par un froid des plus rigoureux, à travers champs ou dans des chemins défoncés, couverts de neige et de verglas, de faire reposer nos hommes et nos animaux. Vu l'insuffisance de place à la ferme de la Hayevaux, je fus m'établir, avec ma compagnie et 2 compagnies du Gard, à la ferme d'Orvillet située à quelques centaines de mètres, sur la droite de la route de Nancy... Les deux cantonnements furent entourés d'avant-postes.

Encore Bulher.-... A peine étions-nous installés dans notre gîte, que la grand'garde me prévint qu'en avant d'elle, et pas très loin, on venait de voir passer sous bois une troupe, qui avait du reste été reconnue pour être la section de partisans de M. Buhler. Je donnai l'ordre de l'arrêter. M. Bulher me fut ainsi amené et je lui reprochai sévèrement son intempestivité. Je pris sur moi de l'obliger à retourner au-delà de la ligne Neufchâteau-Mirecourt, " quelles que " fussent les instructions supérieures qu'il eût entre les mains ".
M. Bulher déféra à mes explications ; je l'assurai, de mon côté, que je rendrais compte an commandement du contre-ordre qu'il avait reçu. C'est ce dont je me suis acquitté dans mon précédent rapport. (...)

Ernouf relate, avec un peu plus de distance :
La colonne qui se mit en route le 18 janvier au soir, sous la direction supérieure du commandant Bernard, pour aller détruire l'un des ouvrages de la grande ligne de Strasbourg, se composait : en première ligne, des compagnies Coumès et Bernard ; de six autres, récemment organisées dans les Vosges sous le titre commun de Chasseurs de la Délivrance; des compagnies Magnin et Richard fusionnées, et des éclaireurs à cheval.
En seconde ligne, marchaient une compagnie de voltigeurs et un bataillon de mobiles du Gard envoyés de Langrès, et qui n'avaient rallié le camp que depuis peu de jours. Des échelles de corde avaient été fabriquées d'avance par Richard, dit le capitaine bleu, à cause de la couleur des parements de sa troupe, dans le cas où l'on aurait à descendre dans le souterrain de Foug; car, si étrange que cela puisse paraître, il y avait encore, au moment du départ, dissentiment entre les membres du comité sur le choix du point d'attaque.
La faute en était au ministre et au délégué de la guerre, qui avaient négligé de subordonner le comité des Vosges à l'autorité militaire.
Quatre hommes, choisis parmi les plus alertes et les plus résolus, étaient partis dès la veille dans la direction de Commercy. Leur mission était d'interrompre au dernier moment la communication télégraphique, et d'enlever, au besoin, des rails pour arrêter les trains de secours.
Parvenus à Châtenoy, entre Mirecourt et Neufchâteau, les chefs de l'expédition firent la rencontre de Bühler, et furent désagréablement surpris d'apprendre l'excursion prématurée qu'il venait de faire. Ils craignaient que cet incident n'eût donné prématurément l'éveil aux Prussiens sur toute la ligne. Aussi l'entrevue qu'eut l'un de ces chefs avec l'audacieux partisan à Attigneville ne fut rien moins que gracieuse.
Il dit à Bühler que, sans le vouloir, il avait travaillé pour le roi de Prusse. Un peu plus loin, Bühler ayant voulu se reporter en avant pour attaquer un convoi prussien assez mal accompagné qui défilait sur la route de Neuf- château à Colombey, c'est-à-dire sur le front de la même colonne française, en fut assez vertement empêché, ce qui faillit amener une collision.
Mais on ne tarda pas à s'expliquer, et le commandant Bernard sut faire comprendre à Bühler l'inopportunité d'un coup de main qui n'eût pas manqué de compromettre une entreprise autrement importante. Il l'engagea, tandis que la colonne poursuivrait sa marche vers la Moselle, à s'en aller faire une diversion du côté opposé, ce dont Bühler s'acquitta avec zèle et intelligence.
Cette dernière explication avait eu lieu au delà des bois d'Attigneville, à la ferme de la Hayevaux, gîte désigné et préparé, où la colonne, marchant presque toujours à travers les bois, était parvenue après un parcours de 40 kilomètres. (...)


Bühler rentrera au Dépôt de son Régiment, à Valence, le 14 Février 1871. Il ne s'agit déjà plus des "Chasseurs de l'ex-Garde", puisque le régiment a été transformé en 13e Chasseurs à Cheval le 4 Février 1871.
Il partira pour Libourne en Août suivant.

Bühler sera nommé Chevalier de la Légion d'Honneur par décret du 22 Mars 1872. Il sera décoré le 16 Juin à Bordeaux par le Général d'Aurelles de Paladines, "à l'heure de la parade (...) et après avoir fait prendre les armes à la Garnison".

Bühler prendra sa retraite le 2 Avril 1874. Il décède le 21 Octobre 1881.


La photo est dédicacée à Mr et Me CLERE, notaire.
Il s'agit certainement de François-Joseph CLERE, notaire à Faverney de 1860 à 1883. Il occupera diverses fonctions électives, conseiller général de la Haute-Saône, adjoint au maire de Faverney, et président de la délégation cantonnale. Il sera nommé Officier d'académie le 14 Juillet 1883.

Faverney, ville de Haute-Saône, revêtait une grande importance comme passage d'une des seules lignes ferrées pouvant servir au ravitaillement des troupes allemandes (ligne Blainville - Épinal - Faverney - Chaumont) - une cible de choix pour des francs-tireurs !