Paul de VALABREGUE est né le 10 Mai
1809 à Londres.
Il est le fils de Paul, officier de Hussards, et d'Angélique CATALANI,
célèbre cantatrice Italienne, exerçant alors à la cour du Roi du
Portugal.
Ces débuts romanesques mérite d'être racontés (in "Critique et
Littérature Musicale", Tome I, de Paul Scudo, 1856) :
"(...) Lorsque le général Lannes fut envoyé comme ambassadeur
de France en Portugal, il avait avec lui un jeune officier français qui
devait avoir une grande influence sur la destinée de la célèbre
cantatrice. M. de Valabrègue, capitaine au 8e régiment de hussards,
était un homme aimable, aux manières parfaitement distinguées. Les
avantages de sa personne, la vivacité de son esprit et surtout
l'élégance de son uniforme firent impression sur mademoiselle Catalani,
qu'il avait occasion de rencontrer souvent dans le salon de
l'ambassadeur de France. M. de Valabrègue n'eut pas de peine à
partager les sentiments qu'il inspirait, et, comprenant d'ailleurs que
la voix de la jeune cantatrice pouvait devenir la source d'une grande
fortune, il demanda sa main. La famille et les nombreux amis de
mademoiselle Catalani ne voyaient cette union qu'avec une répugnance
extrême.
A toutes les objections qu'on lui faisait pour la détourner de ce
mariage, mademoiselle Catalani répondait en baissant les yeux : Ma che
bell' offiziale !
Le bel officier finit par l'emporter en effet : il épousa Angelica
Catalani dans la chapelle de la cour, sous les auspices du prince
régent et du général Lannes.
Madame de Valabrègue, qui a toujours conservé son nom de famille,
quitta Lisbonne au commencement de l'année 1806. Elle venait de
contracter un riche engagement pour le théâtre italien de
Londres.
Elle se rendit d'abord à Madrid, où elle donna plusieurs concerts qui
lui rapportèrent des sommes considérables ; puis, traversant la
France, elle vint à Paris dans les premiers jours du mois de juin 1806.
Sa réputation l'y avait précédée, et les journaux du temps
annoncèrent son arrivée de manière à piquer vivement la curiosité
du public. Madame Catalani donna à l'Opéra trois concerts qui
attirèrent une foule considérable. (...)
Napoléon avait entendu aussi madame Catalani; et, désirant fixer dans
sa capitale une cantatrice qui pouvait distraire l'opinion publique de
plus graves préoccupations, il la fit mander aux Tuileries. La pauvre
femme n'avait jamais vu de près ce terrible virtuose de la guerre, qui
remplissait l'Europe du bruit de ses fioritures; elle tremblait de tous
ses membres lorsqu'elle parut en sa présence.
« Où allez-vous, madame? lui dit le maître de sa voix impériale. —
A Londres, sire. — Il faut rester à Paris, on vous payera bien, et
vos talents y seront bien mieux appréciés. Vous aurez cent mille francs
par an et deux mois de congé; c'est entendu. Adieu, madame. »
Et la cantatrice se retira plus morte que vive, sans avoir osé dire à
son brusque interlocuteur qu'il lui était impossible de manquer à un
engagement qu'elle avait contracté avec l'ambassadeur d'Angleterre en
Portugal. Si Napoléon eût connu cette particularité, il aurait mis l'embargo
sur la belle chanteuse, qu'il eût considérée comme une bonne prise de
guerre.
Madame Catalani n'en fut pas moins obligée de se sauver de France sans
passe-port. Elle s'embarqua furtivement à Morlaix sur un bâtiment qui
venait d'échanger des prisonniers, et dont elle paya les services 150
louis. Cette entrevue avec l'empereur Napoléon fit une telle impression
sur madame Catalani, qu'elle en parlait souvent comme de la plus grande
émotion qu'elle eût éprouvée dans sa vie.
Madame Catalani arriva à Londres dans le mois de novembre 1806. (...)
L'effet que produisait madame Catalani sur le public anglais était si
puissant et si général, que le gouvernement, dans sa lutte périlleuse
contre le grand agitateur de l'Europe, eut souvent recours au talent de
la cantatrice pour retremper l'esprit national. Le bruit se
répandait-il à Londres que Napoléon venait de remporter une de ces
terribles victoires qui brisaient la coalition en mille tronçons,
aussitôt le ministère faisait annoncer un concert au théâtre de
Drury-Lane, où madame Catalani chanterait, con fiochi, le God save the
king et le Rule Britannia. Lorsque sa voix magnifique lançait sur la
foule frémissante ces paroles pleines de tierté : Send him viclorious,
happy and glorious, le public se levait en masse et applaudissait avec
transport la belle cantatrice, qu'il comparait à Junon soulevant de son
regard dominateur les flots de la mer. C'est ainsi que madame Catalani
fut enrôlée dans la grande coalition que soudoyait l'Angleterre contre
son implacable ennemi. (...)
On imagine bien que cette naissance en terre ennemie ne fut pas faite
pour ouvrir grand les portes de Saint-Cyr au jeune Paul de Valabrègue.
Celui-ci est Engagé Volontaire à
la Légion Etrangère le 16 Mai 1834.
Il se rend donc en Afrique, arrivant au Corps le 9 Juin - avec le grade
de Sergent.
Il rejoint la Cavalerie en passant, comme Maréchal-des-Logis,
au Corps des Spahis Réguliers d'Alger le 11 Novembre 1835. Il y
est promu Maréchal-des-Logis Chef le 1er Octobre 1836, puis Adjudant
Sous-Officier dès le 1er Novembre.
Il y est enfin promu Sous-Lieutenant le 14 Février 1837.
Il est transféré au 4e Chasseurs d'Afrique
dans ce grade en date du 20 Novembre 1839.
Valabrègue participe donc à la création de ce régiment, levé
le 1er Janvier 1840 dans la province de Bône, sous le commandement du
Colonel de Bourgon.
On comprend mieux dans ce contexte cette
mission de remonte qu'il racontera dans le "Bulletin de la
Société Archélogique, Scientifique et Littéraire du Vendomois"
(Tome XV, 1876) :
"Messieurs,
En 1840, étant sous-lieutenant au 4e régiment de chasseurs d'Afrique,
je fus chargé par le gouverneur général de l'Algérie, le maréchal
Bugeaud, d'une mission à Tunis. Cette mission avait simplement pour but
d'obtenir du Bey l'autorisation d'acheter dans la Régence, qui est
renommée pour sa race chevaline, quelques chevaux de tête. On m'avait
adjoint deux hommes de valeur: le général Massue, alors
sous-lieutenant, dont les habitants de Vendôme ont pu apprécier les
qualités, et M. Bernis, mort depuis vétérinaire principal de
l'Algérie.
Je n'essaierai pas de vous retracer les impressions diverses, l'espèce
d'enthousiasme que fit naître en moi le voyage que j'entreprenais; vous
les comprenez et vous les auriez ressenties comme moi. J'allais voir les
lieux où fut Carthage, et qui virent mourir saint Louis.
Dès que je fus en possession de quelques chevaux, je dirigeai mes
excursions vers le but désiré. Carthage, ou plutôt la place où elle
fut, ne présente plus aujourd'hui à l'œil du visiteur qu'un sol ras
et dénudé, mélange de cendres et de poussière, dans lesquels sont
éparpillés des morceaux de marbre et d'architecture. Rien ne révèle,
sur cette surface désolée, la riche et puissante rivale de Rome; il
faut, pour la retrouver, fouiller profondément dans cet entassement de
civilisations et de splendeurs détruites, enfouies par la guerre et le
temps. Des fouilles exécutées depuis par la France et l'Angleterre ont
mis à la lumière, avec un grand succès, cette cachette des siècles.
C'est au milieu de cette scène grandiose pour la pensée et sur un
point qui domine la rade, qu'une chapelle venait d'être élevée par la
piété de la Reine des Français. Tout navire chrétien qui entrait
dans le golfe pouvait déjà saluer de loin le tombeau du saint Roi, du
prince courageux et juste. Je fus heureux de pouvoir, un des premiers,
m'y agenouiller. (...)"
Le régiment ne tardera pas à être engagé ; Valabrègue est cité
à l'ordre de l'armée pour s'être particulièrement distingué au feu
le 5 Mai 1841 :
"Le 4 mai, le général Bugeaud suivit la rive
droite du Chélif jusqu'à El-Kantara, passa le pont, et, le lendemain,
remonta par la rive gauche en ravageant le territoire des Beni-Zoug-Zoug.
Cette journée du 5 mai fut une belle journée de cavalerie. Il n'y eut
pas moins de trois engagements distincts contre trois corps venus de
trois points différents. Le premier fut le plus vif et le plus
disputé. Abd-el-Kader y combattit en personne, à la tête de ses
cavaliers rouges, qui, après avoir tenu tête aux gendarmes français
et aux gendarmes maures, ne cédèrent que devant la charge des deux
régiments de chasseurs d'Afrique.
A peine ce premier combat avait-il pris fin, qu'on vit apparaître
successivement les goums de l'Ouest amenés par Miloud-ben-Arach et ceux
de l'Est amenés par Barkani; mais ni les uns ni les autres n'osèrent
s'engager à fond.
Après une courte fusillade, dès qu'ils virent qu'on marchait
résolument à eux, ils tournèrent bride et disparurent.
« Commencée par un combat brillant, a dit le général Bugeaud dans
son rapport, cette journée a été encore intéressante par cette
circonstance que trois gros corps de cavalerie, formant entre eux un
triangle au milieu duquel je me trouvais, ont été battus et mis en
fuite par environ onze cents chevaux, que soutenaient quelques
bataillons d'infanterie. Ces faits sont de nature à déconsidérer la
cavalerie de l'émir aux yeux des populations arabes. »
Après avoir traversé sur trois colonnes les montagnes des Soumala,
dont les gourbis furent brûlés, le corps expéditionnaire descendit
dans la Métidja pour prendre un repos de quelques jours."
(in "La conquête de l'Algérie, 1841-1857", par Paul
Déroulède).
Valabrègue passera Lieutenant le 24 Juin suivant.
Il sera décoré de la Légion d'Honneur le 29 Juillet 1842.
Il sera à nouveau cité pour s'être distingué au combat de l'Oued-Malah
le 11 Novembre 1843 :
"Bientôt le 4e chasseurs se trouva transporté
sur un autre théâtre, dans la province d'Oran. L'expérience avait
démontré que les plus grandes difficultés de notre domination
viendraient toujours de cette province, et on jugea que le 2e et le 4e
chasseurs d'Afrique n'étaient point de trop dans ce foyer perpétuel
d'insurrection. Les événements ont justifié cette mesure, et il fut
donné à ces deux vaillants régiments de porter les derniers coups à
la puissance de l'émir. Il semblait que la fortune sourît au 4e
chasseurs. Son séjour dans la province d'Oran fut marqué par un des
plus importants faits d'armes de la guerre d'Afrique, le combat de Malah,
où le premier et le plus habile des lieutenants de l'émir perdit son
armée et la vie. Le combat de Malah fut livré en novembre 1843 par un
de ces généraux que Mazarin désignait sous le nom d'heureux, le
général Tempoure.
Sorti de Mascara à la poursuite des restes de l'infanterie de l'émir,
que ce dernier avait confiée au commandement de BenAllal-si-Embarek, le
général Tempoure marchait sans trop de chance de l'atteindre.
Ben-Allal, en pleine retraite, cherchait à gagner El-Gorr, au sud-ouest
de Tlemcen, où il devait opérer sa jonction avec Abd-el-Kader.
Arrivé à Assi-el-Kerma, le général français y campa avec huit cents
hommes d'infanterie, trois pièces d'artillerie, et le 2e et le 4e
chasseurs. Il leva bientôt ses tentes, et se dirigea sur Tamsert. Là,
les restes d'un bivouac récemment abandonné lui donnèrent à
soupçonner qu'il était sur la trace de l'ennemi; des traces de
bestiaux, de bêtes de somme, ne lui laissèrent plus aucun doute sur la
direction prise : le général Tempoure se remit en route, et sa
colonne, à travers une pluie battante, gagna Aïn-Bouchegara, où elle
établit son bivouac.
Deux Arabes que l'on venait d'arrêter apprirent au général que
Ben-Allal avait couché la veille à cinq lieues du point où il se
trouvait lui-même. La pluie continuait à tomber avec violence; le
terrain détrempé était presque impraticable. Le général n'en tint
compte, et continua sa marche. A la pointe du jour, le 11 novembre 1843,
après une marche de nuit où ni les torrents grossis par la pluie, ni
les ravins, ni les forêts qu'il fallut traverser, ne purent ralentir
l'ardeur de nos braves soldats, une forte fumée, sortant d'un bois à
l'origine de la vallée de l'Oued-Malah (qui a donné son nom à ce
combat), leur apparut enfin, et fit tressaillir tous les cœurs.
L'ennemi était là! Tant de courage et de persévérance allait enfin
recevoir sa récompense.
Bientôt une vedette ennemie tira un coup de fusil, et courut à toute
bride donner l'alarme dans le camp de Ben-Allal ; mais le colonel
Tartas, à la tête des 4e et 2e de chasseurs, prit le trot et se
trouva, un instant après, devant le front de Ben-Allal, qui, rangeant
ses troupes en bataille, attendait bravement l'orage.
Lancés par leur brave colonel, les chasseurs tombèrent sur cette
infanterie, la culbutèrent, et le carnage devint terrible; tous les
drapeaux restèrent en leur pouvoir. On sait que Ben-Allal, témoin de
la défaite de ses troupes, ne voulut pas survivre à sa honte, et qu'il
trouva la mort dans une lutte héroïque contre le capitaine
Cassaignoles, suivi de deux brigadiers de chasseurs et d'un
sous-officier de spahis.
L'émir perdit en Ben-Allal son meilleur ami, le compagnon fidèle de sa
fortune, le plus habile et le plus intrépide de ses lieutenants. Le
maréchal Bugeaud, qui savait honorer le courage même chez son ennemi,
ordonna que les honneurs militaires fussent rendus à Ben-Allal comme à
un officier supérieur de l'armée française. Au cercle de Mostaganem,
on voyait, à l'époque où j'étais en Afrique, les deux tambours et le
drapeau des réguliers de l'armée d'Abd-el-Kader : c'étaient les
trophées du 4e de chasseurs d'Afrique, qui doivent appartenir
aujourd'hui aux chasseurs de la garde."
("Les Chasseurs d'Afrique", par le Vicomte de Noe, in
"Revue des Deux Mondes", Tome XXIX, Paris,1860)
Valabrègue est promu Capitaine le 10 Mars 1844.
Il aura un cheval tué sous lui au combat de Temda l'année suivante :
"A la fin de la même année, le maréchal Bugeaud, après un court
séjour en France, fut rappelé en Afrique, par le malheureux
événement de Djemma Ghazaouat. ll organisa de suite à Teniet-el-Had
une colonne mobile, dont il confia la cavalerie à Yusuf. Abd-el-Kader
venait de faire son apparition dans le Sersou. Il s'agissait de le
poursuivre sans trêve, ni relâche. Une première fois déjà, Yusuf
avait failli le prendre et l'Émir, qui s'était trouvé réduit à fuir
devant son adversaire, n'avait dû son salut qu'à la vitesse de son
cheval. Le souvenir du danger qu'il avait couru, de l'audace et de
l'acharnement du commandant des spahis ne l'avait pas quitté. Aussi, en
i845, il ne l'attendit pas, renonça à sa marche vers l'est et
s'enfonça dans le sud. Yusuf l'y suivit et l'atteignit le 23 décembre,
sur l'Oued Temda. Il venait d'enlever une partie de son convoi, quand
l'Émir vint l'attaquer sur son flanc gauche, avec 7 à 800 cavaliers
d'élite.
Malgré son infériorité numérique, Yusuf les chargea aussitôt, les
rompit et les mit en fuite. Ils se rallièrent sur une éminence autour
de l'étendard d'Abdel-Kader. Yusuf les chargea de nouveau. L'Émir eut
son cheval tué sous lui et ne put se dégager qu'avec les plus grandes
peines. Remis en selle par ses cavaliers, il put s'échapper et les
rallia encore sur une troisième position, qui lui fut également
enlevée. (...)
(in "Yusuf", par Victor Bernard Derrécagaix, 1907)
.
Les jours Africains de Valabrègue touchent à leur fin lorsqu'il
permute pour le 9e Dragons, où il prend un emploi d'Adjudant-Major
le 7 Avril 1846.
Il sera nommé Chef d'Escadrons au 2e Cuirassiers le 14
Mars 1850, puis Lieutenant-Colonel au 3e Cuirsassiers, le
10 Août 1853.
Il sera fait Officier de la Légion d'Honneur le 12 Septembre
1855.
C'est le 22 Mars 1856 qu'il est nommé Colonel du 6e
Hussards.
Il commande son
régiment lors la Campagne d'Italie, du 9 Mai 1859.
Le Régiment mobilise quatre Escadrons de Guerre (1er, 2nd, 3e et 6e).
Le 6e Hussards est à Tortoni le 17 mai ; la Brigade Lapeyrouse sera alors affectée au 5e Corps
(Prince Napoléon).
Le Régiment se rendra à Gênes, Livourne, Florence, avant de marcher
vers le Nord-Ouest pour menacer les arrières des armées Autrichiennes.
Ce rôle stratégique empêchera toutefois le Corps de participer
activement aux épisodes de la guerre.
Le Régiment sera stationné à Milan de fin
Juillet 1859 à Mai 1860.
Valabrègue se verra remettre la Médaille Commémorative de la Campagne d'Italie,
qu'il arbore sur ce portrait pris à Milan début 1860. Il rentre d'Italie le
13 Juin
1860.
Il sera fait Commandeur de la Légion d'Honneur le 26
Décembre suivant.
Il quittera le régiment lors de sa promotion au rang de Général de
Brigade, le 16 Décembre 1865.
Lors de la Guerre de 1870, il commande la Brigade de Chasseurs (4e et
5e Chasseurs) de la Division de Cavalerie du 2e Corps de l'Armée du
Rhin. Le général Marmier ne pouvant rejoindre (il commandait la subdivision
de Médéah), Valabrègue commandera la Division durant la campagne.
Il sera fait prisonnier de guerre à la reddition de Metz. Il rentrera
de captivité le 31 Mars 1871.
Valabrègue décèdera le 10 Septembre 1886 au château de Beaulieu
(Loir-et-Cher).
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